Capsule scientifique tirée de la conférence du pharmacien Réjean Lemay présentée lors du Congrès annuel de médecine 2024.
Il existe une panoplie de produits de santé naturels (PSN) sur les tablettes des pharmacies. Pourtant, bien que certains possèdent des propriétés pharmacologiques, plusieurs présentent aussi des risques. Réjean Lemay est pharmacien clinicien dans un CHSLD de Montréal et de Saint-Jérôme. Il est aussi chargé de cours à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Dans le cadre de cette conférence, il nous présente une démarche fondée sur les preuves visant à baliser la prise de PSN, nous apprend à conseiller un patient sur l’usage de ces produits et résume les principales interactions avec les médicaments prescrits. Dans ce deuxième article d’une série de deux, Réjean Lemay discutera des interactions entre les PSN et les médicaments, et abordera l’approche à privilégier face aux patients qui utilisent des PSN.
PSN : gare aux interactions !
De nombreux produits de santé naturels sont susceptibles d’interagir avec des médicaments. D’ailleurs, plusieurs de ces interactions sont documentées et, parmi celles-ci, plus d’une peut entraîner des conséquences cliniques significatives. Pour les éviter, le médecin doit donc questionner régulièrement ses patients pour savoir s’ils prennent des PSN, incluant les vitamines et minéraux.
De multiples interactions entre les médicaments et les vitamines sont répertoriées :
- à fortes doses, la vitamine A diminue l’absorption de la vitamine K, ce qui peut engendrer des variations du RIN ;
- la prise de metformine peut modifier le métabolisme et rendre la personne plus susceptible de développer une carence en vitamine B12 ;
- les vitamines B6 et B9 abaissent la concentration des anticonvulsivants (phénobarbital, phénytoïne, etc.), ce qui augmente le risque de convulsions chez le patient.
En ce qui concerne les minéraux, des interactions avec les médicaments sont également possibles :
- la chélation associée à la prise de calcium réduit l’efficacité de nombreux médicaments, notamment la lévothyroxine et plusieurs antibiotiques (l’espacement des doses permet toutefois de limiter l’interaction) ;
- les antiacides et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui agissent en diminuant l’acidité gastrique, limitent l’absorption du carbonate de calcium et du fer, ce qui peut éventuellement mener à des carences.
Il existe également certaines interactions PSN-médicaments reconnues dans la littérature (voir les diapositives ci-dessous). C’est le cas, par exemple, pour les suppléments de canneberge, qui ont entre autres la cote chez les femmes pour prévenir les infections urinaires. Or, il faut savoir que la canneberge contient des anthocyanes (des flavonoïdes), qui sont métabolisées par le CYP 2C9 et le CYP 3A4. Le supplément augmente donc significativement le risque de saignements chez la personne sous warfarine, aussi métabolisée par le CYP 3A4. D’autres suppléments, comme le curcuma et le gingembre, sont également reconnus pour entraîner des interactions médicamenteuses significatives.
Le millepertuis : pas si inoffensif
Au cours des dernières années, des études ont démontré une certaine efficacité du millepertuis pour soulager les symptômes dépressifs. Néanmoins, le millepertuis est reconnu pour interagir avec de multiples médicaments. Il agit en effet comme inducteur de la glycoprotéine P, du CYP 3A4, du CYP 2E1 et du La prise de millepertuis est donc susceptible de diminuer les concentrations plasmatiques et l’effet pharmacologique de nombreux médicaments, incluant les immunosuppresseurs, les contraceptifs oraux, les antirétroviraux, les anticancéreux et les analgésiques narcotiques.
Traitement anticancéreux : éviter les antioxydants
De nombreux traitements anticancéreux, incluant la radiothérapie et les agents alkylants (p. ex., cisplatine) induisent une cytotoxicité en générant des radicaux libres. Les patients à qui ces traitements sont prescrits devraient donc être avisés d’éviter la prise d’antioxydants (p. ex., vitamine A, C, E, sélénium, manganèse, mélatonine, coenzyme Q10), qui ont pour effet de diminuer leur efficacité.
Vitamine D : vérifier les carences
Au Canada, les carences en vitamine D sont relativement fréquentes et associées à de nombreux facteurs de risque :
- une peau foncée limite la production de vitamine D par l’organisme, tout comme le port de vêtements longs ou l’absence d’exposition au soleil ;
- une déficience en vitamine D peut être observée en présence d’un syndrome de malabsorption (p. ex., maladie inflammatoire de l’intestin, maladie cœliaque, etc.), d’une insuffisance hépatique ou d’une maladie rénale chronique ;
- plusieurs médicaments sont reconnus pour affecter le métabolisme de la vitamine D (p. ex., anticonvulsivants, glucocorticoïdes, antirétroviraux, etc.) ;
- certaines populations, comme les personnes âgées, synthétisent moins efficacement la vitamine D lorsqu’elles s’exposent au soleil.
En clinique, le dosage de la vitamine D n’est pas indiqué d’emblée chez tous les patients, mais seulement chez ceux qui présentent un risque élevé de carence, qui sont atteints d’ostéoporose et qui reçoivent un traitement spécifique à cet effet. Un dosage de la vitamine D peut aussi être prescrit après trois à quatre mois de supplémentation adéquate de vitamine D ou lorsque la personne reçoit des doses excédant 2000 UI par jour.
Le dosage de la vitamine D se fait en mesurant la concentration plasmatique de la 25-hydroxyvitamine D, ou 25(OH)D. Depuis 2023, la cible de 25(OH)D recommandée par Ostéoporose Canada est de 50 nmol/L ou plus, une cible qui favorise la santé osseuse et globale chez les individus sains. Notons toutefois qu’un dosage supérieur à 125 nmol/L pourrait s’avérer délétère et entraîner des effets secondaires chez le patient.
Outre le dosage de la 25(OH)D, d’autres analyses de laboratoire peuvent orienter le médecin vers une possible carence en vitamine D. C’est le cas, par exemple, du dosage du calcium, susceptible d’informer le clinicien sur un potentiel déséquilibre de l’axe phospho-calcique découlant d’une carence en vitamine D.
En effet, la vitamine D contribue à l’absorption du calcium et joue un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre de l’axe phospho-calcique. Or, lorsque le taux sanguin de vitamine D dans le sang diminue, le calcium sanguin n’est plus absorbé efficacement, ce qui augmente peu à peu la concentration de parathormone (PTH). Éventuellement, une résorption osseuse s’ensuit dans le but d’accéder à du calcium, mais sans vitamine D pour favoriser son absorption, il en résulte avec le temps une hypercalcémie chez le patient.
Thé vert : attention à l’hépatotoxicité
Les effets de la prise de produits de santé naturels sont parfois surprenants. Réjean Lemay expose en ce sens le cas d’une femme de 36 ans qui s’est présenté à l’urgence avec des douleurs abdominales, une perte d’appétit et une grande fatigue. La patiente prenait comme seul médicament des contraceptifs oraux. Ses analyses de laboratoires ont montré une élévation importante des enzymes hépatiques qui, après investigation, a été associée à la prise d’un unique comprimé de Camillia sinensis, un produit qui contient du thé vert (matcha).
La prise de suppléments de Camillia sinensis viserait plusieurs objectifs, dont la perte de poids. Le PSN serait aussi utilisé par certaines personnes pour prévenir l’obésité, les maladies cardiaques et neurodégénératives, de même que certains types de cancer. Des cas d’hépatotoxicité ont néanmoins été documentés avec la prise de ce supplément par le Minnesota Green Tea Trial (MGTT). En clinique, une attention particulière devrait donc être portée à la prise de ce PSN, notamment en présence d’autres facteurs hépatotoxiques, comme la consommation d’alcool ou la prise de certains médicaments (p. ex., acétaminophène).
Une écoute sans jugement
Réjean Lemay rappelle que l’approche des cliniciens face aux patients qui se tournent vers les PSN se doit d’être ouverte et impartiale. Une écoute exempte de jugement favorisera un climat d’échange avec le patient, qui se sentira alors davantage en confiance. En effet, quand il est question de produits de santé naturels, les gens craignent parfois d’être jugés.
Le pharmacien insiste également sur l’importance d’éviter de se positionner contre la prise de PSN, ce qui pourrait inciter le patient à cacher qu’il prend un ou plusieurs de ces produits. Face à un manque d’ouverture ou un jugement de la part de leur médecin, les patients pourraient envisager de se tourner vers des sources d’information moins fiables ou moins crédibles pour obtenir des réponses à leurs questions. Ils pourraient aussi hésiter à informer leur médecin qu’ils prennent des PSN, ce qui pourrait entraîner des conséquences cliniques potentiellement graves en raison d’interactions avec des médicaments prescrits.
Plusieurs sources d’informations fiables sont accessibles aux médecins et autres professionnels de la santé pour les aider à mieux conseiller leurs patients qui désirent se tourner vers des produits de santé naturels. Réjean Lemay rappelle cependant l’accessibilité des pharmaciens pour soutenir les cliniciens en ce sens. En cas de doute, ceux-ci sont invités à contacter un pharmacien, qui pourra alors évaluer le risque d’interactions entre le ou les PSN qu’un patient veut utiliser et les médicaments qui lui sont prescrits.
Considérant la grande popularité des PSN dans la population canadienne, Réjean Lemay revient sur l’importance de l’écoute sans jugement afin de recueillir l’information pertinente auprès de leurs patients et ainsi les conseiller adéquatement quant aux risques et aux bénéfices potentiels associés à la prise de ces produits. Lorsqu’il est question des PSN, la prudence et l’ouverture sont de mise !
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