Capsule scientifique tirée de la conférence du pharmacien Réjean Lemay présentée lors du Congrès annuel de médecine 2024.
Il existe une panoplie de produits de santé naturels (PSN) sur les tablettes des pharmacies. Pourtant, bien que certains possèdent des propriétés pharmacologiques, plusieurs présentent aussi des risques. Réjean Lemay est pharmacien clinicien dans un CHSLD de Montréal et de Saint-Jérôme. Il est aussi chargé de cours à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Dans le cadre de cette conférence, il nous présente une démarche fondée sur les preuves visant à baliser la prise de PSN, nous apprend à conseiller un patient sur l’usage de ces produits et résume les principales interactions avec les médicaments prescrits. Dans ce premier article d’une série de deux, Réjean Lemay abordera le contexte législatif entourant la vente de PSN au Canada et présentera quelques-uns des PSN les plus populaires, de même que leurs risques associés.
Quelques mots sur les PSN
Les produits de santé naturels sont très populaires auprès des Canadiens. Une enquête Ipsos Reid révélait d’ailleurs qu’au Canada, 73 % de la population en consommait en 2010. Chez les diabétiques, la proportion grimpait même jusqu’à 78 %. L’enquête indiquait également que les consommateurs tendent majoritairement à se tourner vers des professionnels de la santé (médecins, pharmaciens, diététistes, infirmières) pour obtenir de l’information concernant les PSN.
À l’heure actuelle, bien que quelques PSN aient été étudiés, les cliniciens ont accès à peu de données probantes – et parfois à aucune donnée – pour conseiller les patients. Le plus souvent, lorsque des essais aléatoires et contrôlés ont été effectués, ils sont de courte durée, incluent des échantillons de petite taille et se basent sur une méthodologie peu rigoureuse. Par ailleurs, très peu de ces essais sont menés sur des clientèles pédiatriques ou âgées, ce qui complique le travail des médecins, des pharmaciens et des autres professionnels de la santé quand vient le temps de guider leurs patients.
Le contexte législatif canadien
Au Canada, la réglementation sur les PSN est entrée en vigueur en 2004, mais peu de modifications y ont été apportées depuis. L’encadrement cible notamment les probiotiques, les plantes médicinales, les vitamines, les minéraux, les suppléments pour les sportifs ainsi que les remèdes homéopathiques et traditionnels.
Tous les PSN vendus au pays doivent être approuvés par Santé Canada et présenter, sur l’étiquette du produit, un numéro de produit naturel (NPN) ou un numéro de produit homéopathique (DIN-HM). Cette approbation assure les consommateurs que le produit est sûr et efficace lorsqu’il est utilisé selon les indications proposées sur l’emballage.
Quelques-uns des PSN les plus populaires
Le recours aux produits de santé naturels ne date pas d’hier. Avec le temps, l’efficacité de certains PSN a été démontrée scientifiquement, mais la véracité des allégations de plusieurs d’entre eux reste à prouver. Malgré tout, Réjean Lemay est d’avis que de nombreux produits naturels peuvent fonctionner chez certains patients, même si l’efficacité est parfois associée à un effet placebo. Il rappelle néanmoins que naturel n’est pas nécessairement synonyme d’inoffensif. En effet, plusieurs PSN entraînent des toxicités et des interactions médicamenteuses.
Voici quelques-uns des produits de santé naturels présentés lors de la conférence, leurs particularités et les risques liés à leur utilisation.
Coenzyme Q10
Les raisons d’utilisation du coenzyme Q10 sont nombreuses : prévention des migraines, soulagement des myalgies associées à la prise de statines, hypercholestérolémie. Très peu de données sont toutefois disponibles pour confirmer son efficacité.
Malgré ses multiples bienfaits allégués, le coenzyme Q10 entraîne plusieurs effets secondaires (céphalées, diarrhées, nausées, inconfort abdominal, perte d’appétit, etc.). Le produit peut aussi causer une hypotension. Les individus sous traitement antihypertenseurs devraient donc employer le supplément avec prudence afin d’éviter un potentiel effet synergique qui pourrait provoquer des chutes, notamment chez les personnes âgées.
Des interactions médicamenteuses avec la warfarine et plusieurs médicaments anticancéreux sont également documentées avec l’utilisation du coenzyme Q10.
Ail
Le diabète, la dyslipidémie et l’hypertension artérielle figurent parmi les raisons d’utilisation fréquentes des capsules d’ail. Néanmoins, ce PSN est associé à de multiples mises en garde. Il devrait par exemple être évité avant une intervention chirurgicale, puisqu’il accroît le risque de saignements.
L’ail étant un substrat du CYP 3A4, de nombreuses interactions médicamenteuses sont à prévoir. La prise d’un supplément d’ail chez un patient devrait donc alerter le médecin, particulièrement si elle est concomitante avec la prise d’anticoagulants, d’antiplaquettaires, d’antihypertenseurs ou d’hypoglycémiants. Ce PSN est aussi reconnu pour augmenter les concentrations plasmatiques de tacrolimus.
Oméga-3
Au cours des dernières années, des études ont démontré l’efficacité des oméga-3 en prévention cardiovasculaire. Les raisons d’utilisation par les consommateurs sont cependant plus larges et incluent la dépression et l’hypertriglycéridémie, les doses quotidiennes d’oméga-3 variant selon l’utilisation qui en est faite.
Les suppléments d’oméga-3 provoquent de nombreux effets secondaires (p. ex., selles molles, sueurs nauséabondes, nausées, etc.) et plusieurs mises en garde sont associées à leur usage. Des cas de fibrillation auriculaires et des troubles de la coagulation ont également été rapportés avec la prise de hautes doses d’oméga-3. Notons enfin que la sécurité de ces suppléments n’a pas été démontrée chez les femmes enceintes ou qui allaitent.
Échinacée
Grandement populaire pendant la saison grippale, l’échinacée n’est cependant pas sans dangers. La prise de suppléments d’échinacée a notamment été associée à des éruptions cutanées, à de la dyspepsie et à des étourdissements.
Les personnes asthmatiques ou qui souffrent d’une maladie auto-immune devraient s’informer auprès de leur médecin ou de leur pharmacien avant de se tourner vers l’échinacée pour stimuler leur système immunitaire pendant l’hiver. En effet, l’efficacité des médicaments immunosuppresseurs pourrait être réduite avec la prise de ce PSN. L’échinacée a également été associée à des allergies croisées, notamment avec l’herbe à poux.
Mélatonine
La prise de mélatonine est entre autres intéressante pour réduire les effets d’un décalage horaire et pour induire l’endormissement en cas d’insomnie ou de troubles du sommeil. Toutefois, ce PSN n’est pas sans danger pour tous les patients.
Chez les personnes âgées, par exemple, la prise de mélatonine au coucher peut entraîner de la somnolence diurne. Le produit entre aussi en interaction avec certains médicaments, notamment la warfarine, la nifédipine (interaction majeure) et les inhibiteurs du CYP 1A2 (p. ex., fluvoxamine, ciprofloxacine, etc.).
Ginseng
La dysfonction érectile, le diabète, le rhume et le stress se trouvent dans la liste des raisons d’utilisation les plus fréquentes du ginseng dans la population. Les doses recommandées varient d’ailleurs selon l’indication.
La prise de ginseng entraîne certains effets secondaires, par exemple des palpitations, de l’insomnie et des céphalées. Le PSN peut aussi allonger l’intervalle QT et entrer en interactions avec plusieurs médicaments, comme les immunosuppresseurs et la warfarine, pour ne nommer que ceux-ci.
Millepertuis
Quelques études ont démontré l’efficacité du millepertuis, aussi appelé « St-John’s wort », dans le traitement de la dépression, lorsque comparé au citalopram et à la paroxétine. Le supplément serait également utilisé pour soulager les symptômes de la ménopause et pour diminuer l’anxiété.
Notons cependant que le millepertuis entre en interaction avec de nombreux médicaments, puisque le PSN se veut un inducteur du CYP 3A4. Ainsi, le millepertuis réduit par exemple l’efficacité des contraceptifs oraux et augmente le risque de saignements avec l’apixaban. Les interactions médicamenteuses avec le millepertuis seront détaillées dans la deuxième partie de l’article.
Phytostérols
De nombreuses sociétés savantes, dont la Société canadienne de cardiologie, recommandent aujourd’hui la prise de 2 g par jour de phytostérols afin d’aider au traitement des dyslipidémies. L’ajout de phytostérols au traitement pharmacologique devient notamment intéressant dans le cas où l’objectif est de réduire le taux de C-LDL tout en évitant une augmentation de la dose de statines. Dans certains cas, les phytostérols pourraient aussi être prescrits en prévention primaire, avant même l’initiation d’un traitement aux statines.
Dans le deuxième article de la série, Réjean Lemay discutera des interactions entre les PSN et les médicaments, et abordera l’approche à privilégier face aux patients qui utilisent des PSN.
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