Le 23 octobre dernier, lors du Congrès annuel de médecine, Médecins francophones du Canada a décerné le Prix du mérite à la docteure Geneviève Dechêne afin de souligner sa carrière exceptionnelle et le rayonnement de ses réalisations sur les scènes nationale et internationale.
Un rêve devenu réalité
Geneviève Dechêne a toujours voulu être médecin. Jeune, elle écoutait avec attention les conversations des gens dans l’autobus, cherchant à comprendre leur histoire. Ce réel intérêt envers l’autre et le besoin d’aider son prochain l’habitaient déjà à l’époque. Pourtant, avec un déficit de l’attention et des notes très moyennes tout au long de son parcours scolaire, personne n’aurait pu imaginer que son rêve se réaliserait un jour, y compris la principale intéressée.
C’est au terme d’une première année d’études collégiales en psychologie que la jeune femme a décidé de tenter sa chance en médecine. Dès lors, elle a redoublé d’efforts et aiguisé sa concentration pour obtenir de bonnes notes. Sa détermination a vite porté fruit. « En deuxième année de cégep, mes notes sont passées d’une moyenne de 61 % à une moyenne de 98 % ! », se rappelle la docteure Dechêne. Elle a par la suite dû défendre son dossier scolaire à l’Université Laval, où elle a terminé ses études en médecine en 1982. « Ce parcours atypique n’est plus possible maintenant pour les jeunes médecins », se désole-t-elle.
La docteure Geneviève Dechêne a rapidement trouvé sa voie dans la pratique clinique en première ligne, en particulier dans les soins à domicile. Elle intègre l’équipe d’une clinique de Verdun qu’elle a aidé à mettre sur pied, devenant par la même occasion la première des médecins du CLSC de Verdun. À l’époque, les visites à domicile faisaient partie intégrante du quotidien des médecins de famille. « C’est une pratique magnifique que celle de soigner les gens dans leur milieu de vie », explique la médecin, qui démontre une passion évidente pour sa profession et pour ses patients. Elle a d’ailleurs eu la chance d’en suivre certains pendant plus de 40 ans.
Pour un meilleur accès aux soins à domicile
Les années ont passé et la pratique des médecins s’est peu à peu transformée : les visites à domicile devenaient de plus en plus rares, au profit d’une pratique en clinique, à l’urgence ou à l’hospitalisation. Pour la docteure Dechêne, ce changement ne faisait aucun sens, surtout pour les personnes en fin de vie. « S’il vous reste un an à vivre, il vous reste un an à vivre, pas à mourir, s’exclame-t-elle ! Vous voulez que le médecin passe vous voir pour augmenter votre dose de morphine pour que vous puissiez sortir au théâtre avec votre conjoint le soir venu et être dans la vie, plutôt que de passer votre soirée dans une salle d’attente à l’urgence. »
La docteure Dechêne a donc pris les choses en main. « Au CLSC de Verdun, où je travaillais, j’ai recruté de jeunes médecins dynamiques et généreux pour créer la première équipe de soins palliatifs intensifs à domicile », se souvient la clinicienne, qui était alors déterminée à maintenir ce service à grande valeur ajoutée pour la population. C’était il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, l’équipe propose une assistance médicale 24 heures sur 24 et compte 15 médecins à temps partiel, soit l’équivalent de quatre médecins à temps plein. « C’est la plus grosse équipe médicale à domicile de toute la province et une équipe qui sert de modèle pour les autres CLSC », se réjouit la docteure Dechêne.
Une plus-value pour les patients
Les soins intensifs palliatifs à domicile sont plutôt rares dans le paysage des soins au Québec. « Sur les 165 CLSC qui devaient accueillir un service de soins intensifs à domicile, seulement 12 ont des équipes médicales, et elles sont partielles », souligne avec tristesse la docteure Dechêne, qui a multiplié les efforts et les représentations au cours des dernières années pour faire bouger les choses. Elle est d’ailleurs catégorique : les soins intensifs à domicile sont avantageux sur tous les plans !
Selon la clinicienne, les personnes en fin de vie ayant la chance de bénéficier de soins intensifs à domicile se sentent plus écoutées, sont mieux soulagées et jouissent d’une meilleure qualité de vie. Et ce n’est pas tout. Au CLSC de Verdun, l’équipe de la docteure Dechêne a démontré que la trajectoire de soins d’un patient suivi par le CLSC et un service de soins intensifs à domicile au cours de ses 12 derniers mois de vie coûtait 50 % moins cher que s’il recevait des soins directement à l’hôpital. Une diminution de l’ordre de 15 à 20 % a également été observée en ce qui concerne les patients hospitalisés et sur civière dans les urgences majeures.
Partager son expertise avec la communauté médicale francophone
Les soins palliatifs et de fin de vie, en milieu de vie et surtout à domicile, ne sont pas abordés en profondeur dans le cursus de formation des médecins. Les professionnels de la santé qui prennent en charge ces patients sont donc peu outillés pour intervenir. Afin de remédier à la situation, la docteure Dechêne a entrepris de partager son expertise. En plus de son rôle de chargée de formation clinique à l’Université de Montréal, elle est, depuis plus de 15 ans, directrice scientifique pour l’organisme Palli-Science.
L’objectif de Palli-Science consiste à développer du matériel de formation pluridisciplinaire en soins palliatifs pour former en français et sans frais les individus qui s’intéressent personnellement ou professionnellement à ces soins (p. ex., médecins, infirmières, pharmaciens, psychologues, nutritionnistes, proches aidants, etc.). « Avec Palli-Science, on rejoint la francophonie », explique humblement la docteure Dechêne, qui contribue de manière bénévole à la création et à la mise à jour du contenu du site avec le soutien d’un comité scientifique constitué de divers professionnels de la santé. « Le site internet est non seulement reconnu par le ministère de la Santé et des Services sociaux depuis 25 ans, mais aussi largement consulté par les francophones venant entre autres de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, de l’Afrique, de Belgique et de France. »
Depuis peu, un partenariat avec Médecins francophones du Canada a permis de proposer des formations accréditées en soins palliatifs gratuites et accessibles sur la plateforme de webdiffusion de l’association. Les participants ont donc maintenant la possibilité d’obtenir des crédits de formation continue que ce soit pour les formations en direct ou en différé. Ainsi, après avoir abordé les insuffisances organiques, la docteure Dechêne présente une série de webinaires sur les différents cancers. Un parcours de base en soins palliatifs est également proposé.
Pour la docteure Dechêne, l’avenir passe par l’implantation d’équipes médicales complètes de soins intensifs et palliatifs à domicile qui permettront à la population vieillissante du Québec de demeurer le plus longtemps possible dans le confort de son domicile. Elle y contribue à sa façon, notamment par le biais de son implication bénévole chez Palli-Science. Pour le reste, elle fait confiance aux prochaines générations de médecins.