Les jeux de pouvoir : une réalité incontournable dans les milieux professionnels

Pierre Lainey, maître d'enseignement
HEC Montréal

22 Décembre 2022

Le pouvoir… voilà bien un terme qui suscite chez beaucoup de gens une réaction négative, au mieux, de l’indifférence. Pourtant, le pouvoir est un outil de travail essentiel pour faire converger les efforts d’une équipe autour d’un objectif commun, pour faire avancer des dossiers ou pour initier des changements. Le pouvoir est la capacité d’une personne de faire faire à d’autres, ce qu’elle souhaite. Si elle réussit, alors elle pourra conclure qu’elle a influencé ces individus. La diversité des enjeux, les intérêts quelquefois divergents et bien d’autres situations interpellent le pouvoir et l’influence pour que l’on soit en mesure de réaliser le travail.

Il faut toutefois que cette capacité de faire faire aux autres ce que l’on souhaite soit suffisante. Trop souvent, les gens n’ont aucune idée de leur capacité à influencer. C’est là que les jeux de pouvoir prennent toute leur importance. Comme n’importe quel jeu, les personnes qui y participent souhaitent gagner. Gagner le pouvoir signifie acquérir les bases de pouvoir à partir desquelles il est possible d’influencer les gens. Les compétences d’une personne sont une de ces bases de pouvoir : le savoir-faire professionnel procure du pouvoir à la personne qui le détient, car les autres comprennent que s’ils font ce qu’on leur demande, ils auront de bien meilleures chances de réaliser les objectifs autour desquels ils se sont réunis. Le pouvoir d’expertise est une autre des bases de pouvoir. Elle découle de l’expertise acquise à travers les expériences de travail. Le pouvoir de l’information réside dans la connaissance que l’on a des enjeux des autres : lorsque les enjeux d’une personne sont compatibles avec les enjeux de celle qui cherche à l’influencer, elle sera réceptive à cette influence et fera ce qu’on lui demande. Le pouvoir basé sur la personnalité découle des qualités que l’on attribue à une personne. Ces qualités perçues prédisposeront certaines personnes à se laisser influencer. Le pouvoir d’affiliation se caractérise par les contacts qu’une personne détient : à travers ces contacts, elle peut accéder à des bases de pouvoir qu’elle ne détient pas. Le pouvoir de groupe, quant à lui, prend forme lorsque la personne arrive à rassembler les autres autour de ses initiatives. Ces diverses bases de pouvoir sont conjoncturelles, c’est-à-dire que leur pertinence dépend du contexte dans lequel évolue la personne : par exemple, certaines compétences sont requises dans des situations bien précises, mais ces mêmes compétences peuvent être inutiles dans d’autres situations.

Le pouvoir peut aussi être structurel : il repose alors sur la position hiérarchique d’un individu par rapport à d’autres individus. Le pouvoir d’autorité est le pouvoir du gestionnaire : il peut influencer les personnes qui relèvent de lui puisqu’il est dans une position d’autorité. Le pouvoir du gestionnaire de récompenser les efforts des gens qui relèvent de lui ou le pouvoir de les contraindre sont deux autres bases du pouvoir structurel.

Les jeux de pouvoir sont des situations dans lesquelles on peut gagner ces bases de pouvoir, mais aussi les perdre. C’est pourquoi une bonne connaissance de ces jeux est importante pour éviter de se retrouver dans une situation dans laquelle on perd le pouvoir et l’influence dont on a besoin pour faire le travail. Les études ont mis en lumière six types de jeux :

Le jeu de l’autorité

La personne qui amorce ce jeu mobilise son pouvoir d’autorité pour contraindre les autres à faire ce qu’elle souhaite qu’ils fassent. Elle a recours à ce jeu parce que les autres jeux qu’elle a mis en œuvre n’ont souvent pas eu les effets escomptés. Le jeu de l’autorité s’exprime à travers les tactiques de coercition que la personne met de l’avant : elle évoque des sanctions si les gens ne font pas ce qu’elle souhaite, elle exerce de la pression et peut entrer en confrontation si elle estime qu’il est nécessaire de le faire. L’utilisation de la force, l’intimidation et le désir d’écarter certaines personnes d’un projet, par exemple, sont des tactiques qu’elle peut déployer.

Le jeu de la bureaucratie

La personne qui a une bonne connaissance des règles organisationnelles y fait référence plus ou moins explicitement dans le but que les autres individus s’y conforment. Elle rappelle l’importance de respecter la norme, car toute déviation de cette norme se traduit par des conséquences nuisibles pour celui qui s’en éloigne. Dans ce jeu, le joueur impose des standards et fait souvent appel à la hiérarchie pour faire respecter les règles. Il met en place des contrôles pour s’assurer du respect des règles et ira même jusqu’à inventer des règles afin de contraindre les comportements des autres individus.

Le jeu psychologique

Ce jeu comporte deux registres; un premier, plutôt destructif, dans lequel le joueur utilise la manipulation pour faire faire aux autres ce qu’il souhaite. Il use de séduction et exagère sa vulnérabilité pour susciter la pitié et obtenir la bienveillance de « protecteurs » afin d’arriver à ses fins personnelles. Le deuxième registre, beaucoup plus constructif, se caractérise par le maintien de bonnes relations avec les autres personnes, que le joueur associe à ses réussites personnelles. Il fait preuve de bienveillance et entretient des échanges positifs avec les autres individus.

Le jeu idéologique

À travers des discours et des symboles, le joueur suscite l’engagement des autres personnes. L’usage de mythes et d’arguments fondés sur l’idéologie est le moyen par lequel il cherche à mobiliser les autres joueurs dans son jeu. Il a recours à des stratégies de conditionnement (d’emballage) qui lui servent à cadrer les situations sous un angle qui lui est favorable. Ce jeu peut déraper sur le plan de l’éthique lorsque le joueur utilise des tactiques de falsification (il dissimule des informations ou les transforme dans le but d’en tirer des avantages strictement personnels).

Le jeu technique

Le joueur met de l’avant son expertise et présente des arguments qui ne peuvent être contredits. Il fait usage de statistiques et d’artifices propres à l’image que peut avoir un professionnel et qu’il souhaite que les autres lui attribuent. Il peut chercher à impressionner et à confondre ses opposants par des arguments complexes (fondés ou non) que nul n’osera mettre en doute de peur de paraître incompétent.

Le jeu collectif

Bien que l’expression « jeu collectif » semble pléonastique (un jeu est nécessairement collectif), ce jeu fait intervenir d’autres personnes dont on se sert pour accroître son propre pouvoir. La création de fausses alliances (le joueur confirme son intérêt à aider son allié à gérer ses enjeux, alors que ce n’est pas le cas), la construction d’empires (s’entourer de personnes qui ne contestent nullement le pouvoir de l’individu et qui sont disposées à le défendre sur toutes les tribunes), le parrainage de certains individus qui, en retour, sont redevables au joueur, le parasitisme (profiter de ce que le groupe peut offrir sans contribution en retour), la zizanie (cultiver les conflits intergroupes), la corruption (qui est moins visible lorsqu’elle survient au sein d’un grand groupe), la coexistence pacifique (on tolère les actions d’un groupe pour ne pas subir les pertes de pouvoir qui pourraient découler d’un affrontement, même si les membres du groupe s’adonnent à des activités douteuses), le népotisme (qui consiste à donner le pouvoir à des membres de sa famille), le favoritisme (procurer le pouvoir à ses amis) et la rébellion (mobiliser un groupe d’individus à s’opposer ouvertement à une personne ou à une décision) sont autant de tactiques qui peuvent caractériser les jeux collectifs.

Plusieurs de ces jeux, dans leur description, semblent répréhensibles. Ils le sont effectivement, et cela s’explique par le fait que l’individu qui les utilise n’aura pas su déployer habilement et constructivement ses bases de pouvoir. Les personnes qui amorcent ces jeux entretiennent la perception que les jeux de pouvoir ne sont que nuisibles, ce qui n’est évidemment pas le cas. Comment transformer ces jeux « compétitifs » en jeux « collaboratifs » ? Il faut cultiver ses alliances avec des personnes qui souhaitent s’engager dans des jeux positifs. La transparence et l’intention de faire de ces jeux des situations bénéfiques pour tous sont les prémisses sur la base desquelles il est possible de faire émerger des jeux de pouvoir positifs et constructifs.

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