Changements climatiques et santé (2/2)

Claudine Auger
19 juin 2020

Capsule scientifique tirée de la conférence de Claude Villeneuve – Congrès annuel de médecine 2019 – Médecins francophones du Canada

Peut-on encore douter d’un réchauffement du climat planétaire, alors qu’il s’accélère? Si le constat peut angoisser, et que ses effets réels menacent la santé de diverses manières, comprendre la situation permet de « réagir pour l’avenir »*. Claude Villeneuve, biologiste, chercheur et professeur titulaire au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi est aussi récipiendaire en 2017 de la médaille Paul Harris du Rotary International pour sa contribution à l’avancement mondial du développement durable. Il demeure optimiste, quoique lucide. En vue de prévenir et de s’adapter, il décortique pour nous quelques facettes des changements climatiques. Dernier article d’une série deux.

Les modifications anthropiques et l’urgence climatique

L’humain a altéré la surface de la Terre : modification de l’albédo des surfaces, changement de vocation des terres, irrigation, déforestation et transformation de la composition de l’atmosphère. Ces changements dépendent de forces motrices comme la démographie et la croissance de la consommation qui se traduit par des échanges économiques en accélération. « Par de multiples calculs, nous tentons de mesurer et de prédire l’évolution du phénomène et de ses conséquences à long terme », souligne Claude Villeneuve, ces observations et modélisations à l’échelle planétaire nous laissent devant trois constats.

« D’abord, les principaux gaz à effet de serre (GES) ont connu une augmentation soutenue et accélérée de leur concentration de l’atmosphère au cours des soixante dernières années. Deuxièmement, cette augmentation est en lien direct avec les activités humaines. Enfin, les forces motrices qui expliquent cette augmentation laissent présager que le phénomène ne cessera de s’amplifier si des mesures draconiennes ne sont pas mises en œuvre rapidement pour découpler la croissance économique et les émissions de GES. », résume Claude Villeneuve, biologiste et spécialiste des changements climatiques. Autant de phénomènes qui font augmenter la température moyenne annuelle observée depuis 1880 sur la planète. « Nous avons pris un demi degré à l’échelle planétaire seulement depuis 1980 et les 20 années les plus chaudes enregistrées dans l’histoire l’ont été depuis 1998 ».

« Il y a urgence », admet le scientifique, « alors 80% de l’énergie primaire consommée par l’humanité demeure de source fossile, les émissions de CO2 poursuivent leur envolée. » « Si l’on poursuit dans cette voie », poursuit-il, « la température aura augmenté de 4°C à la fin du siècle. Le réchauffement ne se produit pas de façon uniforme. Dans les latitudes élevées, c’est notablement plus rapide, ce qui contribue à accélérer les conséquences locales et globales. Dans l’Arctique, nous assistons à une fonte accélérée de la banquise pluriannuelle et de l’inlandsis groenlandais. Les températures ont déjà augmenté de plus de 6 degrés à certains endroits. La fonte du pergélisol provoque la libération de méthane, ce qui accentue le réchauffement. »

À chaque année, il s’accumule dans l’atmosphère plus de GES que la nature n’est capable d’en recycler. La dette carbone s’est lourdement accumulée : même si on freine les émissions, elle ne sera pas résorbée avant des décennies, voire un siècle. Et le phénomène d’augmentation du niveau de la mer se poursuivra sur plusieurs siècles. Est-il possible de renverser la tendance? « Possible, mais extrêmement difficile », conclut Claude Villeneuve.

Ainsi, pour stabiliser le climat à 1,5°C, il faudra diminuer les émissions de 45% par rapport à 2010, d’ici 2030, en plus d’être carboneutres en 2050. Le Emission Gap Report identifie que 33 Gt d’équivalent CO2 peuvent être mobilisées d’ici 2030, à moins de 100US$/tonne. « La suite est plus incertaine, mais plusieurs solutions techniques qui ne sont pas encore matures peuvent être développées. Mais… il faut d’abord cesser d’augmenter les émissions! »

Mais comment réduire ce qu’on ne connaît pas? « Actuellement, la majorité des individus et des organisations ne savent pas calculer leur empreinte carbone : comment pourraient-ils la gérer? C’est d’abord en sachant la mesurer qu’on peut faire des choix éclairés », affirme le scientifique, qui ajoute que si chacun en était à moins de 2 tonnes de GES annuellement, les changements climatiques seraient stoppés. « Nous en sommes en moyenne à 4,6 kilos à l’échelle mondiale, à 9,6 au Québec et à plus de 20 tonnes par habitant au Canada… »

Oui, agir en ce qui concerne les émissions de GES, mais également favoriser notre adaptation collective. « Ce n’est pas une fatalité d’être affecté par les changements climatiques, si on fait ce qu’il faut pour s’adapter et prévenir», conclut Claude Villeneuve.

Selon le scientifique, il semble très improbable de parvenir à éviter le dépassement de la trajectoire; un réchauffement significatif avant la moitié du siècle semble inévitable. «Oui, les manifestations du nouveau climat sur les conditions locales se traduiront par des événements exceptionnels. Il faut donc penser dès aujourd’hui à se protéger en s’adaptant, par des infrastructures capables de résister aux phénomènes inhabituels, des mesures de sécurité civile et l’aménagement du territoire.»

L’Accord de Paris

  • Tous les pays doivent se fixer des cibles nationales non contraignantes et les réviser aux 5 ans.
  • L’objectif est de maintenir à l’horizon 2100 le réchauffement bien en deçà de 2°C.
  • Les contributions actuelles fixées sont très inférieures aux efforts nécessaires pour y arriver.
  • Les États-Unis et l’Australie sont sortis de l’Accord de Paris depuis 2017.

Santé et changements climatiques

Les professionnels de la santé auront à faire face à de nombreux enjeux liés aux changements climatiques, qu’on rencontre déjà dans les urgences ou en consultation : surmortalités associées à l’effet combiné des canicules et de la pollution de l’air; maladies respiratoires associées aux moisissures, plus susceptibles de proliférer en cas d’inondations; extension d’aires des allergènes ou des vecteurs d’arbovirus, notamment. Il faudra également compter, dans certaines régions plus sensibles, avec les maladies à transmission hydrique liées aux débordements des systèmes sanitaires et avec des pénuries alimentaires ou d’eau potable. Finalement, l’écoanxiété est en émergence, particulièrement chez les jeunes, dont il faut considérer les inquiétudes réelles avec une sensibilité adaptée.

Si certains segments de la population semblent des victimes désignées, populations démunies, malades chroniques, enfants ou travailleurs œuvrant à l’extérieur, ils ne sont pas pour autant condamnés. «Il y a moyen de prévenir afin de minimiser les souffrances», soulève Claude Villeneuve, convaincu que l’adaptation au climat futur demeure la meilleure option face à l’urgence climatique. «Le système de santé peut anticiper les effets des changements à venir par la préadaptation.» Nombreuses sont les solutions adaptatives à mettre en place et quelques-unes le sont déjà au Québec, selon le scientifique :

  • Une climatisation adéquate dans les établissements de santé et de retraite pour contrer les coups de chaleur;
  • Une veille stratégique sur la progression des arbovirus et des plantes allergènes;
  • Une éducation efficace en matière de santé et sécurité au travail;
  • Une éducation pertinente des intervenants en santé sur les stratégies de réduction des GES;
  • La promotion des saines habitudes de vie : mobilité active, alimentation (moins de viande et de produits transformés), davantage d’espaces verts et la valorisation de leur fréquentation.

Pour Claude Villeneuve, les bénéfices climatiques s’allient aux saines habitudes de vie, plusieurs comportements pouvant contribuer à réduire nos impacts sur le réchauffement du climat. Et redonner un sentiment de contrôle en agissant concrètement, au quotidien. «Savoir que le transport actif réduit les émissions de GES d’environ 200 g de CO2 par kilomètre parcouru et les précurseurs du smog photo-oxydant peut devenir une motivation à adapter sa manière de se déplacer. En ce qui concerne l’alimentation, le régime flexitarien, en réduisant sa consommation de viande rouge, contribue à réduire les émissions de GES, les impacts sur l’agriculture sur la biodiversité, la qualité de l’eau… en plus d’avoir un impact certain sur la santé, notamment les maladies cardio-vasculaires. Finalement, reverdir la ville, outre ses effets relaxants, améliore la qualité de l’air, diminue les îlots de chaleur et crée des puits de carbone. » Autant d’habitudes à adopter pour s’adapter et contribuer à la solution plutôt qu’au problème.

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