Réchauffement climatique :
Le témoignage de Mario Cyr, plongeur de renommée internationale

Claudine Auger, journaliste
4 mars 2021

Inondations, incendies, ouragans, canicules, fonte des glaciers, pollution, réfugiés climatiques. Difficile aujourd’hui d’être insensible à un des plus grands défis posés à l’humanité : les changements climatiques. Plongeur et photographe passionné de l’Arctique depuis des décennies, Mario Cyr a pu observer les impacts des hausses de température dans les océans : de la diminution de la superficie de la glace à la transformation des habitudes de vie des animaux, en passant par la perturbation des saisons, autant de bouleversements dont il peut témoigner.

L’aventurier du froid

C’est à la fin de l’adolescence que ce Madelinot s’initie à la plongée sous-marine dans les eaux de ses îles natales. Rapidement, attiré par les beautés des fonds marins, fasciné par les mammifères sous-marins, il devient plongeur professionnel et se spécialise en plongée du froid extrême. Avec à son actif plus de 12 400 plongées réalisées dans 80 pays, familier de terres lointaines, Antarctique, Arctique, Groenland, Russie ou Norvège, sa renommée internationale l’inscrit comme l’un des grands directeurs photo des profondeurs océaniques.

Témoin privilégié de la vie marine, il est à même de constater avec désolation l’impact des changements des températures dans les océans. « Une hausse de seulement un dixième de degré modifie tout. Alors que les méduses prennent de l’expansion, favorisées par ce réchauffement des eaux, des bancs de poissons sont quant à eux déviés, alors que certaines espèces disparaissent carrément », raconte-t-il, ajoutant que l’Arctique vit une métamorphose inquiétante, comme pour tous les océans du monde. « Je suis allé 42 fois en Arctique. Depuis que je plonge là-bas, la couverture de glace a diminué de plus des trois quarts de ce qu’elle était, menant à des conséquences graves pour tous ses habitants, des ours polaires aux Inuits, qui ne peuvent plus se déplacer et se nourrir de la même manière. »

Les habitudes bouleversées des mammifères marins

Viscéralement attiré par les mammifères marins, toujours en quête d’images pour documenter la vie mystérieuse des océans, Mario Cyr a pu observer les changements climatiques depuis les quatre dernières décennies. Aux participants de la fascinante conférence qu’il a présentée lors du Colloque annuel de médecine en octobre 2020, le plongeur et photographe a montré en images l’évolution de ce vaste territoire blanc. Alors qu’au début des années 2000, il y a vingt ans à peine, ses photos témoignaient d’une neige abondante, les plus récentes mettent en évidence un territoire saturé d’eau. « L’Arctique est en train de se métamorphoser de façon phénoménale! Durant la période estivale, avec 82% de moins de glace qu’auparavant, les animaux peinent à se nourrir convenablement, ou à mettre bas. » C’est ce que lui et ses coéquipiers observent et documentent.

Ainsi, il raconte que si le Saint-Laurent était encore essentiellement couvert de glace en hiver durant les années 1990, il y a désormais des années où les phoques ne peuvent plus donner naissance aux blanchons, la glace couvrant à peine 10 à 20% du fleuve. « Je me souviens d’une année où les phoques ont dû faire le tour et remonter vers le nord, trouvant de justesse de la glace à Blanc-Sablon. Une autre année, ils ont finalement donné naissance à leurs petits directement sur la plage. N’étant pas adaptés à ces conditions, le sable entrant dans les yeux, le nez, la bouche, beaucoup de blanchons n’ont pas survécu. »

Les morses, ces grands migrateurs, vivent également les impacts de la fonte des glaces. « Ce sont des animaux grégaires qui, tous collés les uns contre les autres, embarquent sur d’immenses galettes de glace, voguant plusieurs jours sans se fatiguer », explique le plongeur. Aujourd’hui, sans accès à suffisamment de ces embarcations gelées, les morses doivent nager pour se rendre à leur destination afin de trouver repos et nourriture. « Ils dépensent ainsi une énergie supplémentaire considérable et les scientifiques ont pu constater que le taux de gras des morses diminue chaque année. Ils ne mangent pas assez pour combler l’énergie dont ils ont besoin. » Malgré leur force imposante, les morses sont eux aussi en péril, souffrant des conséquences des changements climatiques, tout comme les nombreux habitants des océans.

L’incroyable fragilité des océans n’a d’égal que sa beauté

Actuellement, l’Arctique canadien est l’endroit qui se réchauffe le plus rapidement, comme l’explique Mario Cyr : « Le 1er juin 2019, à la base militaire Alert où travaillent nombre de scientifiques, on a enregistré une température de 21°C, soit 22° au-dessus de la moyenne, un record malheureusement de plus en plus fréquent. Et durant l’été 2020, toujours en Arctique, le dernier grand segment de glace encore attaché à la terre s’est effondré. Désormais, la glace bouge, accentuant sa fonte. »

En fait, ce témoin de l’impact des changements climatiques dans les océans du monde résume problématique en trois enjeux majeurs. « Le premier, c’est l’immense déséquilibre créé par l’augmentation de la température de l’eau. Les impacts sont directs, que l’on pense, par exemple, au blanchiment des coraux, dont la moitié de la population a disparu. Le deuxième fléau est celui du plastique, surtout les plastiques volatiles, qui menacent la survie de certaines espèces, dont la tortue luth : elle avale ces débris synthétiques, flottant comme les méduses dont elle se régale. En avalant ces déchets, la tortue finit par mourir de faim, car son estomac est bloqué par le plastique. Finalement, la pollution jetée inconsciemment par les pêcheurs ou les plaisanciers décime la vie des océans. »

Malgré tout optimiste, Mario Cyr est convaincu qu’il est possible d’affronter le défi de la pollution, des GES (Gaz à effet de serre) et des changements climatiques. « Mais ça prend de la volonté », s’exclame-t-il de son accent typique des Îles-de-la-Madeleine. « On ne pourra pas freiner la fonte des glaciers, il est déjà trop tard. Mais on peut sauver notre planète. Et les médecins ont un rôle de leader à jouer. Les gens font confiance à leur médecin. Quand les médecins posent des gestes, ils influencent leur communauté. Nous avons besoin de beaucoup plus de leaders dont les gestes concrets sont tellement plus porteurs que de belles paroles. C’est par le geste qu’on va éduquer et réussir à préserver ce magnifique héritage qu’est notre milieu de vie. »

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