Dr Bertrand Routy MD, PhD, récipiendaire du Prix de l’œuvre scientifique 2025 : être utile dans le combat à mener

Claudine Auger, journaliste
4 Décembre 2025

Pionnier en oncologie du microbiome, Bertrand Routy rêve qu’un jour, ce champ d’études devienne une spécialité en soi qui pourrait prédire et augmenter l’efficacité d’un patient à l’immunothérapie du cancer. Sur cette route à défricher, les défis exigent une persévérance exemplaire. Celle du jeune clinicien-chercheur se nourrit du combat à mener par ses patients, à qui il souhaite offrir de meilleurs traitements. Parcours remarquable d’un scientifique fasciné par les bactéries.

Dépasser les limites

Quelques événements très marquants ont orienté les choix de vie de Bertrand Routy. À 12 ans, lors d’un retour de la France en avion, seul avec son frère et sa sœur, il a été témoin de la crise cardiaque d’une passagère. Il faudra atterrir d’urgence en Islande où, malheureusement, la dame décédera. « Alors que le personnel cherchait désespérément de l’aide médicale parmi les voyageurs, j’ai ressenti un profond sentiment d’être inutile », se souvient l’oncologue. Profondément touché, l’appel de la médecine germe à ce moment précis. Cette invitation à suivre cette voie sera à maintes reprises ravivée chez l’étudiant féru de science. Il se souvient avec humour de cette médaille reçue pour avoir été le meilleur disséqueur de grenouille dans un cours de biologie. « C’est un grand moment quand on est adolescent! »

Plus tard, alors résident en médecine, un collègue de son âge succombera au cancer. « Encore une fois, j’ai été marqué. Je portais un sincère désir d’être utile, de continuer le combat. » Hésitant entre les soins intensifs et l’oncologie, il optera pour cette dernière discipline. « Lorsqu’on se trouve sur cette fine ligne entre la vie et la mort, il y a une relation unique qui se tisse avec le patient qui nous donne toute sa confiance », confie le Dr Bertrand Routy. C’est une motivation inépuisable qui lui donne l’énergie de poursuivre avec acharnement son travail quotidien pour le développement de meilleurs traitements.

Il raconte qu’encore récemment, il a dû annoncer à une jeune mère de quatre enfants que son cancer ayant progressé et qu’il fallait se résoudre aux soins palliatifs. « Elle m’a demandé ce que je lui conseillais. Je lui ai dit de profiter de chaque instant de qualité avec sa famille. » Ému, il confie que c’est pour ces patients qu’il continue d’avancer, qu’il pousse les limites de ses travaux. « Pour ces patients qui risquent de mourir, je veux augmenter l’espérance de vie. C’est par la recherche fondamentale que de nouveaux médicaments seront inventés. »

Une infaillible persévérance

Co-directeur du Centre du microbiome du CHUM et professeur agrégé de médecine à l’Université de Montréal, le chercheur-clinicien fait allusion à cette citation de Pasteur devant les succès qu’il a connus dans ses recherches plusieurs fois récompensées : « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés. » Sa curiosité, sa capacité à traverser l’adversité alors qu’il suscite les railleries et la perplexité de ses collègues par ses analyses de selles de patients cancéreux et sa ténacité lui auront permis de démontrer que le microbiome intestinal joue un rôle clé dans l’efficacité de l’immunothérapie et que les antibiotiques ont des effets néfastes.

Son principal conseil à tout jeune chercheur? Ne jamais abandonner. « C’est un effort constant, c’est vrai, de convaincre des médecins de l’importance d’un changement. Ils sont sceptiques, à raison, mais il faut persévérer pour démontrer la valeur de nos découvertes. Sans une détermination à toute épreuve, on ne parcourt pas le chemin », assure le Dr Bertrand Routy. Il ajoute que les médecins ne sont pas habitués à l’échec. Cela peut être un bloqueur important pour le chercheur continuellement évalué pour les demandes de fonds, ou des articles scientifiques. « Presque au quotidien, on vous dit que votre projet ne tient pas la route. Le rôle des bactéries, personne n’y croyait! Pourtant, il ne faut jamais abandonner! » Et pour trouver les fonds nécessaires à la poursuite des travaux, il faut convaincre. C’est, selon lui, la partie la plus difficile de son travail. « Ce sont les règles du jeu, il faut les accepter pour jouer. Alors, je le répète, il ne faut pas abandonner. Il faut aussi s’entourer de mentors, de gens qui vous écoutent, qui ont déjà fait ce dur travail avant vous et qui en comprennent les défis. Finalement, s’entourer d’une bonne équipe. »

La francophonie comme force de connexion

Reconnaissant de recevoir le Prix de l’œuvre scientifique 2025 remis par Médecins francophones du Canada, le Dr Bertrand Routy souligne l’importance de ce soutien et le rôle de cet organisme dédié à la francophonie en médecine. Lucide, ancré dans son milieu bilingue, le récipiendaire estime que c’est un handicap de ne pas maîtriser l’anglais. Le français est, quant à lui, un atout dont on doit se servir. « L’anglais demeure la langue de travail international, c’est ainsi. Néanmoins, la force de la francophonie, c’est de rallier une communauté, d’établir une connexion entre les médecins par la langue française afin de nous permettre de nous rassembler et de collaborer. C’est une force que doit utiliser Médecins francophones du Canada, et elle s’en sert déjà très bien, pour créer des liens entre les médecins du Canada, de la France, de la Belgique, de la Suisse, du Liban, de l’Afrique francophile, de toute cette communauté liée par le français. »

Quant à lui, originaire d’Aix-En-Provence, arrivé au Québec à 7 ans, il a étudié en français et en anglais, entre l’Université de Montréal et McGill, effectuant une sur-spécialité à Toronto et un doctorat en immuno-oncologie au Centre Gustave-Roussy à Paris. Convaincu de la force du réseau, persévérant et ambitieux, il poursuit ses recherches avec l’espoir que dans un demi-siècle, les médecins d’alors jugent que ce qui se fait aujourd’hui soit complètement désuet. « J’espère qu’on sera rendu tellement plus loin qu’on dise : ‘Quoi! On donnait toutes ces bactéries aux patients, alors qu’il n’y en a qu’une dizaine qui soit efficace!’ Ce qu’on fait actuellement est formidable, mais je souhaite des avancées encore plus ambitieuses et révolutionnaires. Je souhaite qu’on puisse même prévenir le cancer. »

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