Stratégie, pouvoir, influence : autant de mots « puissants » qui participent aux jeux en société. Quelle que soit l’organisation dans laquelle vous évoluez, vous aurez besoin de ces cartes maîtresses que sont la connaissance des enjeux, les alliances ou la capacité à bien se positionner. Pierre Lainey, maître d’enseignement en management à HEC Montréal a œuvré pendant 25 ans comme consultant en changement et en développement organisationnel tant dans les secteurs public que privé, au Québec, en Ontario et aux États-Unis. Il livre ici des conseils judicieux. Premier de deux articles.
Tel un jeu d’échec
Quelle que soit votre position, votre rôle et vos tâches dans votre organisation, vous aurez besoin d’influence. En effet, comme l’explique Pierre Lainey, « l’influence est la base de la collaboration. Mais cette influence ne va pas sans pouvoir, qui est cette capacité à faire faire aux autres ce que vous souhaitez. Et si les autres font ce que vous souhaitez, vous pourrez conclure que vous les avez influencés. » Mais comment peut-on gagner du pouvoir? Et le conserver? Comment peut-on en donner à ceux qui n’en ont pas pour les rendre plus influents? Comment, parfois aussi, enlever le pouvoir à ceux qui ne l’utilisent pas de manière stratégique ou l’utilisent pour les mauvaises raisons? Autant de questions essentielles.
Être stratégique, c’est un peu comme jouer aux échecs : il faut avant tout connaître les règles du jeu. Il faut, également, connaître le joueur qui nous fait face et comprendre l’échiquier pour savoir déplacer nos pièces de manière à gagner. « La métaphore du jeu d’échec est porteuse et illustre l’importance de la stratégie dans l’exercice de l’influence », souligne le consultant d’expérience.
Comme le présente Pierre Lainey, il existe essentiellement cinq habiletés stratégiques à développer et à utiliser dans nos milieux professionnels :
- Identifier les enjeux
- Développer des alliances
- Accroître son pouvoir
- Être stratégique
- Bien se positionner
Identifier les enjeux
Première chose à conserver à l’esprit : les gens seront davantage réceptifs et perméables à votre influence si vous avez pris la peine d’identifier leurs enjeux. En effet, une fois identifiés, vous aurez la possibilité de les aider à les réaliser! « Et si vous faites cela, vous augmenterez l’impact de votre influence », insiste Pierre Lainey.
Chaque être humain veut gagner du pouvoir, puisque le pouvoir permet d’accroître son influence et ainsi, de concrétiser ses objectifs. « Sans pouvoir dans notre organisation, nous n’avons pas l’influence nécessaire pour faire avancer nos dossiers, faire accepter nos recommandations ou mener à bien les changements voulus au sein de nos équipes. Tout le monde veut gagner, comme aux échecs! Dans les jeux de pouvoir, c’est la même chose. Les jeux de pouvoir sont des jeux dans lesquels il faut s’investir, ce que souvent les gens refusent, ne sachant souvent pas comment s’y prendre », explique le consultant.
Dans une organisation, plusieurs enjeux sont liés à l’ambition, ce désir de progresser au niveau professionnel. « Si vous êtes le moindrement ambitieux, vous aurez besoin d’influence auprès de ceux qui pourront vous permettre de réaliser vos aspirations. Peut-être, aussi, avez-vous des collègues que vous pouvez soutenir dans leur cheminement professionnel. Une chose est certaine : en vous intéressant aux enjeux de vos collègues, vous augmenterez votre influence, surtout si vous êtes en mesure de les accompagner en ce sens », soutient Pierre Lainey. Pas très loin, il y a également ce désir de se mesurer, par ces enjeux personnels qui se déploient en terrain de saine compétition.
D’autres enjeux sont liés aux valeurs. Là encore, l’influence est essentielle pour réussir à concilier, voire à convaincre nos collègues, pour obtenir l’appui de ces derniers, même ceux qui, au départ, ne partagent pas entièrement nos valeurs.
Les enjeux liés aux ressources sont communs en organisation et l’influence permet de trouver les ressources convoitées pour réaliser son travail, que ce soit pour nous-mêmes ou pour des collègues.
Les enjeux de différenciation horizontale ou verticale émergent lorsque nous avons besoin d’influencer un collègue qui est, dans l’organigramme, soit à notre niveau hiérarchique, soit à un niveau supérieur ou inférieur. « Encore ici, l’influence permettra de faire faire aux collègues ce que l’on souhaite », répète le consultant.
Les enjeux liés aux décisions concernent les décisions qui nous affectent ou qui ont un impact sur notre travail, nos projets, nos équipes. « Quelques fois, les gens qui doivent décider ne prennent pas de décision, créant de l’incertitude », explique Pierre Lainey. « L’incertitude crée une opportunité pour vous d’influencer les décideurs, d’orienter cette décision vers votre intérêt et celui de votre équipe. Aussi, une décision peut être prise, mais ne pas avoir été expliquée : c’est un enjeu de décision non-structurée. « Dans ce cas, on ne comprend pas comment la décision a été prise, on ne comprend pas sa structure. On peut alors chercher à influencer la personne ayant pris cette décision pour qu’elle nous explique le processus mis en œuvre dans cette prise de décision : il s’agit alors d’un enjeu de décision structurée. » Une fois ce processus compris, il est alors possible de se repositionner, en faveur ou non de la décision, et influencer le décideur si l’on souhaite qu’il revienne sur sa décision.
Reconnaître ces différents enjeux permet, non seulement d’avoir de l’impact sur les gens en les aidant à réaliser leurs enjeux, mais également à identifier les enjeux compatibles aux vôtres et favoriser le développement d’alliances.
Développer des alliances
Dans votre entourage, il y aura des gens qui ont conscience que vous avez de l’influence et vous pourriez l’utiliser pour les aider à réaliser leurs enjeux… et les vôtres. Si ces enjeux sont compatibles aux vôtres, il sera aisé de créer une alliance. Il y aura également des personnes indifférentes, ne voyant pas en quoi vous pouvez faciliter la concrétisation de leurs enjeux ni comment elles pourraient vous aider à réaliser les vôtres. Il s’agit donc d’intéresser ces personnes, de leur faire prendre conscience de ce qui est possible de gagner en s’alliant. Il y aura évidemment quelques opposants sur votre route, ces individus dont les enjeux sont incompatibles avec ceux que vous mettez de l’avant. Ils pourront tenter de diminuer votre influence. Ici encore, pourtant, l’objectif demeure de susciter la possibilité d’une alliance.
Pour créer des alliances, vous devez créer des interactions avec les personnes dont les enjeux sont compatibles avec les vôtres et chercher à les influencer afin de travailler dans une direction commune, valorisant la collaboration et l’interdisciplinarité. « Mais n’oubliez pas : vous conserverez vos alliés seulement si vous êtes disposés à la réciprocité! Si vos alliés contribuent à vous aider à réaliser vos objectifs, vous devriez également les aider à réaliser les leurs. La réciprocité permet de conserver nos alliances », insiste Pierre Lainey. Les alliés peuvent également vous aider à mobiliser vos opposants, alors qu’ils pourraient posséder une influence sur eux dont vous-même ne jouissez pas.
La création d’alliances est une activité essentielle dont on ne saurait se priver, on le comprend bien. « Trop souvent, pourtant, on ne le fait pas! On se dit que ça ne fait pas partie de nos tâches ou de nos responsabilités. Peut-être. Mais les gens seront davantage portés à vous soutenir si vous avez pris le soin de vous intéresser à leurs enjeux et de leur démontrer votre intention de les aider à les réaliser… pour qu’en retour, par effet de réciprocité, ces alliés collaborent de la façon la plus efficace possible dans la poursuite de vos objectifs », résume le conférencier.
Accroître son pouvoir
Le sens politique est un terme souvent mal compris. Pourtant, savoir utiliser son pouvoir efficacement, c’est cheminer vers l’accomplissement de ses objectifs. Le sens politique, c’est, en somme, de réussir à gagner du pouvoir afin de gagner suffisamment d’influence pour faire avancer ses dossiers. Le sens politique est essentiel, tant pour gagner en pouvoir que pour le partager. « On croit à tort que donner du pouvoir à l’autre, c’est s’affaiblir. C’est tout le contraire », clame Pierre Lainey. « En donnant du pouvoir à vos alliés, vous augmentez votre influence car vous vous entourerez de personnes dont les enjeux sont compatibles aux vôtres alors que vous leur aurez permis d’être davantage influents. » Tout le monde y gagne.
Par ailleurs, il arrive qu’il faille, parfois, enlever du pouvoir à certains individus. « Peut-être y a-t-il des opposants à certains de vos projets ou de vos décisions et, malgré votre tentative de les convaincre, vous devrez leur retirer un certain pouvoir puisqu’ils freinent vos objectifs », explique le consultant, qui rappelle que le pouvoir, c’est cette capacité à faire faire aux autres ce que l’on souhaite. « Mais la première étape, c’est d’évaluer la quantité, ou la force, de son propre pouvoir. » Et si vous en avez peu, comment l’augmenter? Et surtout, d’où vient le pouvoir?
Si des individus relèvent de vous, vous possédez un pouvoir formel: celui-ci est déterminé par la position que vous occupez dans l’organigramme. « C’est cette autorité qui vous permet de dire : ‘Faites ceci, car c’est moi le patron.’ En général, les gens s’exécuteront, reconnaissant cette autorité légitime. Et s’ils font ce que vous leur dites, vous pourriez les récompenser par une reconnaissance quelconque, leur signifiant que ces comportements sont ceux que vous souhaitez. » Au contraire, la coercition envoie le message qu’un comportement n’est pas désiré et qu’il doit être changé. Le pouvoir formel reconnaît le pouvoir de l’autorité, de la récompense et de la coercition.
Le pouvoir formel, pourtant, n’est pas suffisant. Pour accroître son influence, le pouvoir informel est essentiel. Alors que le pouvoir formel est déterminé par le poste occupé, le pouvoir informel s’acquiert avec effort : compétences, expertise, cueillette d’information et références sont autant de cartes à son jeu et autant de manières d’avancer dans la réalisation de vos enjeux et de ceux de vos alliés.
Naviguant entre pouvoirs formel et informel, il existe deux autres formes de pouvoir fort utiles. Le pouvoir d’affiliation est celui qui s’appuie sur un réseau de contacts étoffé et efficace. « En développant un réseau de contacts, vous pouvez interpeller des gens qui ont des compétences, de l’expertise ou de l’information que vous n’avez pas. Peut-être, aussi, que vous avez dans votre réseau des gens qui ont un poste d’autorité dans votre organisation, vous donnant accès à des gens qui possèdent un pouvoir formel qui pourrait vous soutenir », suggère Pierre Lainey.
Le pouvoir de groupe, quant à lui, est ce pouvoir que l’on a quand des gens veulent travailler en équipe avec nous. « On est alors capable de rassembler toute les forces d’une équipe autour de soi, de nos projets, créant une cohésion qui décuple le potentiel. Le pouvoir de groupe est une base essentielle pour générer de l’influence », affirme le consultant.
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