Sauver la planète une bouchée à la fois

Claudine Auger, journaliste
6 août 2020

Capsule scientifique tirée de la conférence de Bernard Lavallée au Congrès annuel de médecine 2019 – Médecins francophones du Canada

Chroniqueur et auteur de deux livres* qui démystifient les mythes et tendances alimentaires tout en y intégrant l’aspect de l’impact de notre alimentation sur notre environnement, Bernard Lavallée, autoproclamé nutritionniste urbain, prône une alimentation durable, alliant la santé de tous les humains et de la planète. Une occasion de mieux comprendre les changements climatiques et la sécurité alimentaire. Premier article d’une série de deux.

Monoculture, un modèle à repenser

Selon Bernard Lavallée, La production alimentaire pourrait diminuer de 2% par décennie à cause des changements climatiques. Certaines cultures seront principalement touchées, dont celles du blé, du riz et du maïs. « Toute pratique d’agriculture a des répercussions sur l’environnement, et c’est important, puisque l’agriculture recouvre 38% de la surface de la Terre. En outre, 70% de l’eau douce sert à irriguer les champs », explique le nutritionniste urbain.

Avant tout, ce qu’il pointe du doigt, c’est la monoculture, véritable obstacle à la biodiversité. « Les plantes choisissent uniquement ce dont elles ont besoin, selon leurs préférences alimentaires, consommant toujours la même chose et appauvrissant le sol du même coup. En replantant, année après année et sur d’immenses surfaces, la même variété, la diversité est amoindrie, augmentant la vulnérabilité des plantes aux insectes ravageurs et aux maladies. » C’est simple : la diversité est essentielle pour le développement d’une protection naturelle des plantes. Et parce que nos monocultures ont du mal à se défendre par elles-mêmes, celles-ci favorisent le cercle vicieux des pesticides de synthèse.

Les herbicides, insecticides et fongicides sont utilisés pour protéger nos monocultures. Comme elles sont les plus importantes cultures au Québec, les cultures du maïs et du soya sont celles qui exigent le plus de pesticides. On les retrouve d’ailleurs dans presque tous les échantillons d’eau de rivières en bordure des champs de maïs et de soya. « La qualité des eaux en région agricole se dégrade rapidement, cette concentration de pesticides élevée entraînant un affaiblissement de la biodiversité », déplore le conférencier.

Alimentation durable menacée

Le déclin des abeilles, ces pollinisateurs essentiels à 35% de la production alimentaire mondiale,  illustre à lui seul l’impact défavorable des pesticides. En effet, les néonicotinoïdes, pesticides utilisés pour lutter contre les insectes ravageurs, seraient de plus en plus associés à l’affaissement des ruches. « Ce pesticide, qui enrobe la graine, se retrouve dans la plante quand elle pousse. Sans tuer l’abeille, elle l’affaiblit considérablement. Depuis plus d’une dizaine d’années, les apiculteurs perdent un plus grand pourcentage de leurs ruches durant l’hiver. Si on comprend mieux ce qui se passe avec les abeilles productrices de miel, il y a moins de données concernant les abeilles sauvages, autre pollinisateur indispensable pour notre sécurité alimentaire », se désole Bernard Lavallée.

De plus, comme l’explique le nutritionniste urbain, les engrais de synthèse sont un inquiétant buffet à volonté. D’abord, il y a les plantes, qui sélectionnent ce qui leur est utile dans ce mélange d’azote, de phosphore et de potassium (NPK). Hautement soluble dans l’eau, ce cocktail d’engrais,  nourrit les algues lorsqu’il se retrouve dans l’environnement ce qui nuit aux autres espèces aquatiques. « Certains types d’algues peuvent même produire  des toxines, l’eau n’est plus potable. Voilà qui contribue encore à nuire à la biodiversité. »

Les OGM, entre le déni et la prudence

Autre rayon à la roue de notre sécurité alimentaire, les organismes génétiquement modifiés (OGM). Un OGM est un organisme vivant dont le patrimoine génétique a été modifié pour y ajouter ou amplifier une caractéristique, ou pour en retirer une qui est considérée comme indésirable. Ainsi, on pourrait potentiellement produire des fraises au goût délicieusement sucré ou des tomates parfaitement esthétiques. Les principales cultures génétiquement modifiées au Québec sont le maïs, le soya et le canola.

« Les OGM suscitent des débats très polarisés. Le discours est souvent de deux ordres : une technologie formidable ou un cancer assuré! Pourtant, une technologie n’est ni bonne ni mauvaise : c’est l’usage qu’on en fait qui en détermine la teneur de dangerosité », rappelle Bernard Lavallée.

Aujourd’hui, c’est notamment vers l’agriculture biologique qu’on se tourne pour tenter de répondre aux problèmes liés à l’agriculture conventionnelle. Depuis l’an 2000, au Québec, le terme « bio » est réglementé : cette appellation peut être utilisée, ainsi que ses logos distinctifs, seulement si plus de 70% des ingrédients sont biologiques.

À la question : est-ce que les aliments biologiques sont meilleurs pour la santé ?, le nutritionniste urbain apporte des nuances. Si des études sur le bio démontrent que ces fruits et légumes sont parfois plus riches en certaines vitamines, minéraux et antioxydants, ils ne sont pas nécessairement plus nutritifs d’un point de vue global. « Les plantes, bio ou non, ont développé un incroyable arsenal pour se défendre et produisent de multiples molécules. Il serait très réducteur de dire que le bio est meilleur pour la santé. » Par ailleurs, les pesticides sont moins présents sur le bio. « Il faut surtout être conscient que pour les consommateurs, il n’est pas prouvé que les micros doses auxquels ils sont exposés ont un impact sur la santé », précise le conférencier. Par contre, c’est beaucoup plus nocif pour les agriculteurs qui sont exposés à des doses répétées. Enfin, et Bernard Lavallée insiste : « Les fruits et les légumes, bio ou non, sont essentiels à la santé. Ils ont un effet protecteur réel. »

*Sauver la planète une bouchée à la fois (2015), (2015) et N’avalez pas tout ce qu’on vous dit (2018) aux Éditions La Presse.

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