Santé autochtone et sécurisation culturelle

Estelle Chamoux, rédactrice
5 octobre 2023

Capsule scientifique basée sur la conférence du Dr Stanley Vollant au Congrès annuel de médecine de Médecins Francophones du Canada le 21 octobre 2022.

Le Dr Stanley Vollant, Innu de Pessamit, est le premier chirurgien au Québec issu d’une communauté autochtone. Fidèle à la tradition orale par laquelle se transmettent les savoirs chez les peuples des Premières Nations, il expose les racines historiques d’un traumatisme délétère et du système qui le nourrit. Son histoire témoigne des embûches qui parsèment le parcours des autochtones dans une société qui leur a été imposée sans jamais les inclure. Connaître l’histoire des Premières Nations et des Inuits, comprendre le traumatisme transgénérationnel et reconnaître le racisme systémique sont des étapes cruciales du processus de réconciliation. Au-delà du témoignage, Dr Vollant présente le concept de sécurisation culturelle et propose des actions concrètes pour co-construire des relations égalitaires, garantes de respect et de sécurité pour les personnes des Premières Nations dans le système de santé.

La conférence du Dr Stanley Vollant débute avec le mot « Kuei! » Bien plus qu’un « Bonjour », ce mot porte en lui la main tendue vers l’autre, l’accueil de l’humain qui nous fait face. D’ailleurs, le mot « Innu » signifie « Être humain ». Dr Vollant nous invite à reconnaître que la conférence se déroule à Tiohtià :ké, territoire de la nation Mohawk que la plupart d’entre nous appellent Montréal. La reconnaissance du territoire ancestral revêt une importance capitale pour les Premières Nations et les Inuits, puisqu’elle met en perspective une occupation vieille de plus de 30 000 ans avec une colonisation d’à peine 500 ans.

Occupation historique du territoire Nord-Américain - Une conférence du Dr Stanley Volant au Congrès annuel de médecine 2021

Figure 1 – Occupation historique du territoire Nord-Américain

Jamais conquis, les premiers occupants ont plutôt été victimes de leur naturel accueillant et peu méfiant envers le nouvel arrivant, qui allait bientôt mettre en péril leur culture et leur rapport au territoire. Plusieurs traités signés avec la couronne au 18e siècle reconnaissent les droits des peuples autochtones dans l’ouest du Canada, où se développe le chemin de fer. Proclamée en 1876, la « loi sur les Indiens »* vise à protéger les droits ancestraux des Premières Nations; ce faisant, elle met en tutelle les peuples autochtones et les maintient dans une position d’infériorité systémique. La négation des droits fondamentaux, les inégalités et les doubles standards seront renforcés au fur et à mesure des amendements à cette loi qui a toujours cours aujourd’hui. L’objectif assumé est alors d’« assimiler l’Indien »* jusqu’à ce qu’il ne reste plus de peuple « sauvage »*.

La loi sur les indiens est toujours en vigueur, une conférence du Dr Volant au Congrès annuel de médecine 2022

Figure 2 – La loi sur les Indiens est toujours en vigueur à l’heure actuelle, bien que plusieurs amendements y aient été apportés.

Au Québec, le territoire est morcelé et les rivières harnachées de barrages. Les familles dont le territoire, la faune et la flore sont source de survie, se voient forcées à la sédentarisation. À moins de renier son identité (émancipation), il est interdit d’accéder à la propriété, d’obtenir un diplôme universitaire ou – pour les femmes – de se marier à un non-autochtone. Et puis surtout, dès la fin du 19e siècle, la loi oblige les enfants à fréquenter les pensionnats, dont le dernier a fermé en 1996. Au pensionnat, le jeune autochtone est brutalement dépossédé de sa langue, de sa culture et de sa religion. Quand l’on ne meurt pas au pensionnat, on en ressort brisé à force d’abus physiques, sexuels et de manipulation mentale. Aujourd’hui, au Canada, près de 2 millions d’autochtones vivent – ou survivent – avec un traumatisme collectif dont les racines sont vieilles de plus de 400 ans.

Figure 3 – La scolarisation obligatoire des jeunes autochtones en pensionnat a créé un traumatisme profond, se répercutant sur de nombreuses générations.

À propos de l’impact des pensionnats :
« Effets à long terme, cumulatif et intergénérationnel comprenant l’arrachement à leur communauté, la perte de fierté et de la dignité, perte de l’identité, de la langue, de la spiritualité, de la culture et de la capacité d’être parent. Les racines de ces dégâts et de ces pertes se traduisent par l’augmentation de la violence familiale, les abus, le suicide, l’alcoolisme et autres toxicomanies dans nos communautés. »
– Cornelia Wieman, psychiatre autochtone, 6 nations

Pessamit est un petit village de la Côte-Nord, situé sur une langue de terre entre la rivière du même nom et le fleuve Saint Laurent. C’est là, juste au bord de l’immense Nitassinan (territoire Innu), que le jeune Stanley Vollant passe son enfance à la fin des années 60. Ses grands-parents, Nemushum et Nukum l’ont adopté : en 1965, les mères autochtones non mariées n’ont pas le droit de garder leur enfant. Si la plupart sont envoyés dans des familles non autochtones, le jeune Stanley a la chance vivre dans sa communauté. Il y parle l’innu-aimun, chasse et pêche avec son grand-père qui lui enseigne la culture et les traditions.

Figure 4- La rivière Pessamit et le Nitassinan en arrière-plan

C’est en entrant à l’école que le jeune garçon est confronté à la dévalorisation et au mépris d’une institution qui travaille à effacer toute trace d’identité autochtone. Langue interdite, culture infériorisée, couleur de peau et accent moqués, l’humiliation est quotidienne. Élève brillant, il est encouragé à poursuivre ses études par sa mère, elle-même privée d’études supérieures.

Figure 5- Dr Vollant souligne la force et l’inspiration que lui ont transmises ses modèles

Avec une grande générosité, Dr Vollant nous relate les injustices qui se dressent devant lui dans une société qui le considère comme inférieur. À la violence des institutions, imposant langue et religion, s’ajoute l’ostracisation, le racisme et les insultes des pairs. Au déchirement que constitue l’éloignement requis pour s’éduquer, s’ajoute le combat quotidien pour prouver que l’on vaut autant que les autres. C’est donc au prix d’une volonté et d’une résilience que l’on ne demande à aucun autre étudiant que le Dr Vollant devient le premier chirurgien autochtone au Canada en 1994. Fier de ne pas avoir cédé à ce système qui a tout fait pour le convaincre qu’il valait moins que les autres, Dr Vollant doit néanmoins se battre contre des séquelles de traumatismes accumulés : une dépression majeure l’entraîne vers une profonde noirceur, dont il parvient à sortir en retournant aux sources de son identité, sur le Chemin innu.

Figure 6- Innu Meshkenum, le chemin innu: réunissant plus de 10 000 marcheurs, Dr Stanley Vollant parcourt 6000 kms à la rencontre des communautés, invitant jeunes et moins jeunes à se reconnecter à leur identité

Sur plus de 6000 kilomètres, il marche à la rencontre de 35 communautés, s’adresse à plus de 17 000 jeunes autochtones et les invite à croire en leurs rêves, à exploiter leur potentiel. Dr Vollant est un leader dans sa communauté et une figure sécurisante pour les Innus qui fréquentent l’hôpital de Baie-Comeau. Il est un modèle inspirant pour les jeunes autochtones admis en médecine, dont le nombre augmente peu à peu grâce à un programme qu’il a initié.

Figure 7- Dr Stanley Vollant a créé l’association Puamun Neshkemu, le chemin des mille rêves, dont la mission est d’inspirer les jeunes à croire en leur potentiel et à visualiser leur rêve en le confiant au bâton des mille rêves.

Partout au monde, le poids de l’histoire se manifeste chez les peuples autochtones par des problématiques de santé identiques : en Nouvelle-Zélande comme au Québec, le bouleversement du mode de vie et du régime alimentaire font exploser la prévalence du diabète et de l’obésité, l’accumulation d’abus se répercute en violence, alcoolisme et taux de suicide astronomiques. Plutôt que de nourrir un système de préjugés, il faut comprendre et reconnaître les racines du traumatisme transgénérationnel des peuples autochtones pour s’attacher à le soigner.

Figure 8- L’espérance de vie des autochtones est encore très inférieure à celle des allochtones. Diabète, obésité, accès à l’eau potable et taux de suicide de 4 à 8 fois plus élevés expliquent en partie cette situation.

En 2020, Joyce Echaquan meurt en public sous les insultes de deux infirmières à l’hôpital de Joliette. Après le choc viennent l’indignation et la libération de la parole. Avec ce drame, le Québec ne peut plus ignorer les tragédies silencieuses qui font le quotidien des personnes autochtones et Inuits. La nation Atikamekw, nation de la famille Echaquan, réclame aujourd’hui l’adoption du Principe de Joyce, qui vise à « garantir aux personnes des Premières Nations un accès aux services de santé et aux services sociaux équitable et sans aucune discrimination, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ». Bien que le gouvernement ne reconnaisse toujours pas le concept de racisme systémique, des actions de sensibilisation culturelle ont été menées, notamment auprès du corps médical. Cependant, les mesures demeurent timides et ne sont pas toujours bien adaptées. À la fin de sa conférence, le Dr Vollant présente le concept de sécurisation culturelle, qui va bien au-delà de la sensibilisation. Ce concept repose sur trois piliers :

  • Au-delà de la sensibilisation culturelle, il s’agit de reconnaître et de respecter les droits des personnes des Premières Nations.
  • Au-delà de la connaissance culturelle, il s’agit d’apprendre l’histoire des Premières Nations, de connaître les traumatismes transgénérationnels et de comprendre les conditions de vie et autres déterminants de santé qui ont un impact sur les personnes des Premières Nations.
  • Au-delà de la compétence culturelle, il s’agit d’apprendre à communiquer et à comprendre l’autre, de vouloir établir un échange d’égal à égal exempt de hiérarchie ou de relations de pouvoir.

Cette conférence du Dr Vollant incite à l’introspection et à la responsabilisation. Il est du devoir de chaque intervenant clinique de s’informer, de reconnaître et de traiter l’autre avec respect. Il est du devoir des associations médicales et institutions de fournir à leurs membres la formation et les conditions nécessaires à la mise en place des bonnes pratiques. Il est du devoir des instances gouvernementales de reconnaître les effets actuels d’un traumatisme généré par des années de politiques colonialistes et d’attribuer les ressources nécessaires à la guérison.

Figure 9- Dr Vollant demande aux institutions de santé et aux associations professionnelles de prendre des mesures concrètes pour assurer la sécurisation culturelle de leurs services

Tourné vers l’avenir, Dr Vollant plaide pour la co-construction d’un avenir où personne, quelle que soit son origine, n’aurait à craindre l’abus, le mauvais traitement, l’irrespect ou la négation des droits les plus fondamentaux.

Figure 10- Tshinishkumitin, merci, signifie littéralement « je te donne une outarde », un oiseau symbolisant l’entraide et qui revêt une importance majeure pour le peuple innu et pour plusieurs autres nations.

*Ces mots ne sont pas ceux de la rédactrice, mais bien le vocabulaire utilisé dans les documents de l’époque.

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