Prix du Mérite 2020

Claudine Auger, journaliste
7 janvier 2021

Le 29 octobre dernier, lors du Congrès annuel de médecine, Médecins francophones du Canada a décerné le Prix du Mérite au Dr Michel Alary afin de souligner sa carrière exceptionnelle et le rayonnement de ses réalisations sur les scènes nationale et internationale. Ce prix est remis par l’association à un médecin en reconnaissance de son engagement et de son dévouement exemplaire auprès de sa communauté.

Grands espaces et médecine rurale

Sa mère, qui rêvait pour lui de médecine, avait raison d’imaginer un destin hors de l’ordinaire pour son garçon : à 16 ans, il entrait à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke et, en outre, se faisait élire comme président de classe. « Personne ne savait mon âge », confie en riant celui qui, à l’évidence, était un étudiant brillant.

En 1974, le jeune Michel Alary effectue un stage à Lac-Etchemin, dans l’un de ces premiers CLSC qui font leur apparition à cette époque d’effervescence. « J’ai eu la piqûre ! Le service médical était déficient dans cette région avant l’ouverture des CLSC, et j’ai vu là des patients qui traînaient des maladies sérieuses depuis des années et que nous avons réussi à guérir. » À la fin de son internat, il y a pratiqué de 1975 à 1980. Une expérience certes gratifiante, quoique les nouvelles entités de services médicaux encore en organisation manquent de moyens. Le Dr Michel Alary décide alors de prendre quelques distances de la médecine pour répondre à l’appel de la nature. « J’étais très intéressé par la culture biologique et l’élevage de chevaux de trait. » Dans cet esprit de retour à la terre, il achète une ferme dont il s’occupera pendant une dizaine d’années, pratiquant la médecine à temps partiel.

Dans les années 1980, alors qu’il a toujours un pied sur la ferme, à ferrer ses chevaux, l’autre aux Iles-de-la-Madeleine, où il pratique la médecine familiale, son attention est attirée par les infections transmises sexuellement (ITS). « L’été, avec la saison touristique, les Îles passaient de 14 000 habitants à 60 000 ! C’était la fête tous les jours, un véritable phénomène social où la gonorrhée prospérait. À l’urgence certains jours, je devais avoir une seringue de pénicilline à portée de main », raconte le Dr Michel Alary. Cet éveil aux ITS est pour lui une croisée des chemins. « Comme ma ferme me coûtait plus cher qu’elle ne me rapportait, j’ai accepté un poste en santé communautaire à Beauceville. À l’époque, la gonorrhée était une maladie à déclaration obligatoire et la chlamydia commençait à peine à être détectée. Ce n’était que la pointe de l’iceberg. »

De par le monde, la voie de la santé publique

Fasciné par l’évolution des ITS et témoin des premières années de l’épidémie de VIH, le Dr Michel Alary amorce sa pratique en santé publique en complétant en parallèle une maîtrise et un doctorat en épidémiologie à l’Université Laval, une manière pour lui de concilier harmonieusement sa passion des mathématiques et de la médecine. C’est aussi durant cette période qu’il commence à s’impliquer à l’international, notamment par sa participation en 1988 à la première mission canadienne d’aide en matière de Sida aux pays francophones d’Afrique. « Je me souviens de m’être réveillé une nuit, paniqué, me disant : ça n’a pas de bon sens ! Si on ne fait rien, tout le monde sera mort dans dix ans ! Il faut se rappeler qu’en milieu urbain, 15 % des Burundais avaient le Sida. » Si l’avenir, heureusement, lui donne tort, le Dr Michel Alary ne se sent pas moins profondément préoccupé. « Fondamentalement, ce qui me touche encore, ce sont ces populations vulnérables, les inégalités sociales et de leurs impacts sur la santé », explique celui qui, au milieu des années 1990, met en place le projet Oméga. Cette étude sur les hommes homosexuels et les utilisateurs de drogues injectables établit les bases pour le développement du programme de recherche sur le VIH à base communautaire des Instituts de recherche en santé du Canada. Il a aussi été responsable de l’évaluation d’Avahan, l’initiative de lutte contre le sida en Inde de la Fondation Bill et Melinda Gates, vaste programme de prévention du VIH.

Depuis trois décennies, le Dr Michel Alary a multiplié les voyages en Inde et en Afrique de l’Ouest, participant activement à freiner le VIH dans ces régions du monde. Il confie être particulièrement attaché au Bénin. « C’est mon deuxième pays ! J’adore les gens, leur chaleur, leur accueil. Dès mes premiers séjours, j’ai pu constater le besoin immense en ce qui a trait au VIH et aux autres ITS. Depuis 1996, nous avons réussi à trouver du financement pour aider les travailleuses du sexe, des femmes vulnérables qui se retrouvent piégées, faute d’éducation et des inégalités entre hommes et femmes. Exploitées, démunies, ces femmes se résignent au travail du sexe, souvent leur seul moyen de nourrir leurs enfants », se désole le Dr Michel Alary, conscient qu’il y a encore tant à faire.

Passer le flambeau

C’est après un stage postdoctoral en Belgique avec le Dr Peter Piot, codécouvreur du virus d’Ebola et directeur fondateur d’ONUSIDA, que le Dr Michel Alary devient professeur d’épidémiologie à l’Université Laval en 1992. Il agit également comme médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec. Chercheur engagé, professeur apprécié, membre de l’Académie canadienne des sciences de la santé depuis 2016, le Dr Michel Alary continue de diriger l’Axe santé des populations et pratiques optimales en santé au Centre de recherche du CHU de Québec — Université Laval qui réunit notamment plus de 90 chercheurs et 200 étudiants gradués. Toutefois, après cette carrière chargée, il aspire à ralentir la cadence et à de consacrer à sa famille. Déjà, des dossiers sont bouclés et la relève est prête à poursuivre dans cette voie tracée.

« Il ne faut pas abandonner les travailleuses du sexe », lance l’humaniste, avant de poursuivre : « Nous pouvons les aider par la distribution et la promotion des condoms et en traitant les ITS. Pour que le condom devienne la norme, l’intervention auprès des hommes et des patrons de bordel fonctionne bien. Quant aux traitements, il importe d’en favoriser l’accès et de soutenir la prévention et le dépistage. » Le Dr Michel Alary demeure optimiste. Il laisse ses projets entre bonnes mains.