Prix de la qualité du français 2018


30 octobre 2018

Chaque année, Médecins francophones du Canada remet le Prix de la qualité du français à un étudiant en quatrième année de médecine à l’Université de Sherbrooke. Les participants doivent écrire un texte dans leur cours d’éthique et sont par la suite évalués en fonction, entre autres, de la qualité de leur réflexion éthique ainsi que sur leur structure, leur syntaxe et la qualité de leur français. La gagnante de cette année est Gabrielle Houle-Clermont qui se verra remettre son prix lors de notre Congrès annuel de Médecine 2018. Voici le texte gagnant :

Vers la fin d’une garde chargée, une résidente me fait signaler et me demande de me présenter rapidement à l’urgence, où nous allons recevoir une patiente qui nous est transférée d’un centre affilié : une fillette de 10 jours présentant une fièvre sans foyer. À ce moment, nous n’avions que très peu d’informations supplémentaires à son sujet, car le centre avait transféré la patiente immédiatement après une tentative échouée de ponction lombaire. Dès son arrivée à l’hôpital, la patiente est rapidement prise en charge par l’équipe, mais l’histoire médicale et les antécédents sont difficiles à obtenir. Les deux parents sont présents, mais ils sont peu expressifs et leur réponse à la grande majorité de nos questions sur les évènements des derniers jours et l’histoire périnatale est évasive. Malheureusement, plusieurs informations dont nous aurions grandement besoin sont manquantes ou peu précises.

En plus des bilans hautement perturbés traduisant une défaillance multiorganique, l’état clinique de la patiente, qui était initialement plutôt rassurant, se détériore rapidement. Le tout inquiète beaucoup l’équipe médicale et la tension augmente au sein de celle-ci. La patiente est installée en vue de procéder à une ponction lombaire et les parents sont donc contraints de sortir de la chambre. À deux mètres de ceux-ci se trouve le poste des médecins, où la résidente appelle le patron pour discuter du cas qu’elle qualifie de « vraiment intéressant ». Elle décrit les parents comme « très peu aidants » et « non attentifs à des détails nécessaires pour orienter la conduite ». La résidente parle très fort et je remarque à plusieurs reprises les parents ainsi que d’autres collègues jeter un regard dans notre direction.

Je ressens un malaise significatif face à la situation. Puis-je faire quelque chose dans l’immédiat ? Si j’interviens et que j’avise ma résidente de son manque de discrétion, cela pourrait-il la blesser, la mettre en colère ou lui induire davantage de stress ? Dois-je considérer qu’intervenir à ce stade-ci n’aurait plus d’utilité ou qu’au contraire, cela pourrait améliorer l’issue de la situation et prévenir qu’un manque de discrétion se reproduise ?

Des normes déontologiques et légales balisent la pratique de la résidente en ce qui a trait à la confidentialité et au devoir de faire preuve de prévenance envers les proches du patient en collaborant avec eux dans l’intérêt de celui-ci. Le non-respect de ces normes peut entrainer des sanctions et avoir un impact négatif sur l’image que les patients ont des médecins dans notre société. Cela représente donc un enjeu éthique institutionnel et sociétal important. Ici, ma résidente semble très anxieuse et je me questionne à savoir s’il s’agit de la première fois qu’elle est confrontée à une telle situation ou s’il est possible qu’elle ait déjà vécu une expérience négative semblable dans le passé. La frustration liée au fait d’être limité par le peu de renseignements disponibles lui a peut-être fait perdre momentanément son sang froid. Je me doute bien qu’elle n’a probablement pas conscience qu’elle a des auditeurs non désirés. De plus, l’urgence étant à aire ouverte, il est difficile de préserver à la perfection la confidentialité tout en restant à proximité de la patiente pour plus de sécurité, dans l’éventualité où l’état clinique de celle-ci se détériorerait davantage.

À la fin de ma garde, je croise la famille de la patiente à l’étage. La mère est en pleurs et le père semble, lui aussi, bouleversé.

Jusqu’où dois-je intervenir dans une situation où les actions d’une collègue menacent le bien-être des proches de ma patiente en considérant, d’un côté, ma responsabilité vis-à-vis de ceux-ci et l’atteinte concomitante au code de déontologie par le bris du principe de confidentialité, et de l’autre, mon souci concernant la collégialité et le statut d’autorité que représente cette collègue ? D’autres enjeux étroitement liés à mon questionnement sont également à prendre en compte comme la non-malfaisance envers la patiente et la relation de confiance entre le public et les médecins.

Un médecin se doit d’être bienveillant et de se soucier de l’impact des problèmes de santé de ses patients sur leurs proches. Il est donc important d’essayer de se projeter dans la position des parents de la patiente. Leur réaction laisse croire qu’ils ont entendu les nombreuses critiques faites à leur égard et qu’ils ont été blessés par ces dernières. Voir son enfant gravement malade est une expérience difficile où plusieurs parents éprouvent de la vulnérabilité, voire de la culpabilité et de l’impuissance face aux limites de leur contribution à la prise en charge. Leur souffrance pourrait être exacerbée par les remarques de la résidente. De plus, la qualité des soins prodigués à la patiente pourrait être affectée par de mauvaises relations entre la famille et l’équipe médicale ainsi que par la perte de sang-froid au sein de cette dernière. Il est nécessaire de préserver de bonnes relations avec les proches afin de pouvoir collaborer avec eux dans l’intérêt des patients, spécialement dans un contexte de soins pédiatriques, où l’implication de la famille est non-négligeable. Cet évènement et les propos de la résidente pourraient malheureusement compromettre la collaboration à venir.

En vertu du Serment professionnel du Collège des médecins du Québec, un médecin a le devoir de respecter le secret professionnel et de ne révéler à personne les informations qui lui sont parvenues par l’exercice de sa profession, à moins que le patient ou la loi ne lui autorise. Entre autres, il doit, en public, éviter de discuter ou de faire des commentaires au sujet des patients qui pourraient révéler des renseignements confidentiels. La société s’attend des médecins à ce qu’ils soient non seulement des experts maîtrisant un ensemble de connaissances et de compétences médicales, mais également des professionnels intègres, honnêtes et altruistes sur lesquels les gens peuvent compter pour défendre leurs intérêts. Il est important pour les médecins de respecter ces attentes et de considérer le fait que les actions de chacun peuvent avoir des répercussions sur l’image globale du système de santé et de ses institutions. De mon côté, mon intégrité professionnelle m’incite à promouvoir le respect de la confidentialité, tant dans l’exercice de ma pratique qu’auprès de mes collègues. Ici, plusieurs personnes semblent avoir entendu les propos de la résidente. Ceux-ci ont-ils été perçus par certains comme un manque de professionnalisme, voire d’empathie à l’égard des parents ?

Ce cas est un bon exemple de situation où je crois qu’il est nécessaire de prendre du recul et de s’attarder aux deux côtés de la médaille. Il s’agit d’un contexte difficile et anxiogène pour les parents, la résidente, toute l’équipe médicale et moi-même. Dans un tel contexte, il est facile de se sentir dépassé et de porter un jugement hâtif sur autrui : des parents incapables de détailler l’histoire périnatale de leur nouveau-né, une résidente qui fait preuve de non-professionnalisme, une externe qui reconnait la problématique, mais qui ne fait rien. Ce jugement hâtif, comme vous le savez, notre profession y a eu droit plus que jamais au cours des derniers mois et je ne crois pas qu’il s’agisse de la bonne façon d’apporter des changements positifs à notre système de santé.

D’abord, il faut comprendre que ce qui m’a pris plusieurs heures à décrire ne s’est passé qu’en quelques minutes. Il est vrai que les parents n’ont pas été capables de fournir beaucoup d’informations concernant l’état de santé de leur fille et que d’obtenir davantage de détails aurait certainement été aidant. Cependant, ces parents n’ont pas de formation médicale et ne réalisaient peut-être pas l’importance de porter attention à certains signes et symptômes. On ne pourrait pas non plus leur en vouloir s’ils avaient été sous le choc à ce moment. Aussi, hors de tout doute, la résidente a fait preuve de non-professionnalisme. Cependant, bien que je reconnaisse l’impact négatif de ses actions à plusieurs niveaux, je n’ai aucune raison de croire qu’elle agissait dans l’intention de blesser qui que ce soit ou de ternir l’image des médecins. Son comportement semblait plutôt découler d’une frustration secondaire au fait qu’elle avait à cœur le bien-être de la patiente, mais qu’il lui manquait des informations afin d’optimiser la prise en charge. Je peux imaginer que si j’avais été dans sa position, j’aurais possiblement, moi aussi, été dépassée par les évènements et limitée par l’organisation à aire ouverte de l’urgence. Il est évident que les médecins ont l’obligation d’imposer certaines limites à leur collégialité, et notamment, de faire passer le bien-être du patient avant celle-ci. Cependant, je crois fermement que l’entraide, la sollicitude et la capacité à poser un regard critique sans jugement hâtif sur les actions de nos collègues sont des facteurs favorisant un bon climat de travail et des soins de qualité.

J’ai trouvé difficile d’agir dans l’immédiat, car je ne souhaitais pas délaisser mes tâches au sein de l’équipe et craignais d’exacerber le stress de mes collègues alors que leur attention et leurs efforts devaient être dirigés vers la patiente. De plus, compte tenu du fait que ma résidente représente une figure d’autorité, j’admets que je trouvais d’autant plus difficile d’intervenir. Toutefois, j’étais mal à l’aise quant à l’idée de simplement fermer les yeux.

Lorsque la patiente fut stabilisée et montée à l’étage, puis que la tension fut retombée au sein de l’équipe, j’ai avisé ma résidente qu’à mon avis, plusieurs personnes, dont la famille de la patiente, l’avaient entendue parler au patron un peu plus tôt. J’ai agi non seulement par souci pour la collaboration avec la famille, le bien-être de la patiente et le respect du secret professionnel, mais aussi par respect pour elle. Elle avait le droit de savoir qu’elle avait accidentellement fait une erreur afin d’avoir la chance d’apprendre de celle-ci. Personnellement, j’aurais aimé que l’on fasse de même avec moi si j’avais été dans sa position. Heureusement, celle-ci a très bien réagi à mon intervention.

Finalement, tel que précisé plus haut, à la fin de ma garde, j’ai croisé la famille de la patiente à l’étage. L’ambiance était lourde et les parents bouleversés. Je leur ai reflété qu’il était normal qu’ils se soient sentis dépassés et leur ai exprimé ma compréhension quant au fait qu’ils avaient potentiellement été blessés par les propos de la résidente, en soulignant que ceux-ci avaient certainement dépassés sa pensée et n’avaient pour cause que son souci de fournir les meilleurs soins possibles à leur fille.

Après cette soirée, je n’ai pas eu l’occasion de suivre cette famille ou de retravailler avec cette résidente. Par conséquent, je suis incertaine de l’évolution de la situation, mais j’espère que mon honnêteté et mes mots d’encouragement ont contribué au maintien des bonnes relations nécessaires à la collaboration dans l’intérêt de la patiente. Ce que je retire de cette expérience quant à ma pratique future est l’importance de reconnaitre une situation délicate lorsqu’elle se présente et d’y faire face avec tact, en restant ouvert aux commentaires d’autrui comme l’a été ma résidente et en sachant analyser les différents enjeux tout en gardant à l’esprit que des informations incomplètes et des facteurs limitants peuvent altérer notre vision de la situation.

[1]Serment professionnel, Collège des médecins du Québec
http://www.cmq.org/publications-pdf/p-1-1999-12-01-fr-serment-professionnel.pdf
2Ordre des médecins et des chirurgiens de l’Ontario. Physician Behaviour in the Professional Environment.
http://www.cpso.on.ca/Policies-Publications/Policy/Physician-Behaviour-in-the-Professional-Environmen
3Association médicale canadienne. Code de déontologie [politique], Ottawa, 2004.
https://www.cma.ca/Assets/assets-library/document/fr/advocacy/policy-research/CMA_Policy_Code_of_ethics_of_the_Canadian_Medical_Association_Update_2004_PD04-06-f.pdf
4Code de déontologie des médecins, Collège des médecins du Québec.
http://www.cmq.org/publications-pdf/p-6-2015-01-07-fr-code-de-deontologie-des-medecins.pdf?t=1518137643242
5Puddester D, Flynn L, Cohen J. 2009. Guide CanMEDS pour la santé des médecins : Un manuel pratique pour la santé et le mieux être des médecins. Ottawa : Le Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada
6Association canadienne de protection médicale. Respect et compréhension — le professionnalisme dans le travail d’équipe, 2012
https://www.cmpa-acpm.ca/fr/advice-publications/browse-articles/2012/respect-and-understanding-how-professionalism-affects-teamwork