Capsule scientifique tirée de la conférence de pointe prononcée par le Dr David Fortin lors du Congrès annuel de médecine 2023.
Après ses études de médecine à l’Université de Sherbrooke, Dr David Fortin s’est spécialisé en neuro-oncologie à l’Université Western Ontario et aux États-Unis avant de devenir neurochirurgien au CIUSSS de l’Estrie CHUS et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. Nommé spécialiste de l’année par le Collège royal des médecins et chirurgiens de Canada en 2018, et auteur de plusieurs livres grand public, il a effectué une percée majeure dans le traitement des tumeurs cérébrales en mettant au point de la chimiothérapie intra-artérielle avec ouverture de la barrière hémato-encéphalique. Malgré toutes ses réalisations, on sent que l’homme ne se prend pas trop au sérieux lorsqu’il souligne avec un trait d’humour que le processus derrière ces mots compliqués est finalement assez simple : ouvrir des voies de passage pour que la chimiothérapie passe du sang au cerveau!
Du neurone au réseau
Dr Fortin débute sa conférence avec une métaphore : s’il a choisi une galaxie pour illustrer son premier livre, ce n’était pas pour parler d’astrophysique mais pour imager le fonctionnement du cerveau, dont les milliards de neurones forment une mosaïque de connections encore mystérieuses. Décrit par Santiago Ramon y Cajal au début du XXe siècle, le neurone est une cellule capable de collecter et d’intégrer un grand nombre d’informations pour en former un signal destiné à une autre cellule. Emblématique, sujet de représentations artistiques et d’expositions muséales, le neurone est également à l’origine de la doctrine neuronale statuant qu’à elle seule cette cellule permettrait d’opérer tous nos processus cognitifs.
Or on le sait bien maintenant : le cerveau contient entre quatre et dix fois plus d’autres cellules que de neurones. Les cellules gliales, à la fois sources nourricières et protectrices, jouent un rôle majeur en soutenant le développement, la consolidation et l’entretien des neurones. Les cellules endothéliales vasculaires assurent quant à elles le débit sanguin dédié au cerveau, qui représente à lui seul 20% du débit corporel. C’est justement en analysant le flot sanguin cérébral que l’on peut détecter des atteintes neurocognitives dues à un accident cérébral ou à une pathologie neurologique. Il est donc important de réviser notre vision du fonctionnement du cerveau et de s’attacher à mieux comprendre les activités des cellules qui le composent; après avoir placé le neurone au premier plan des fonctions cognitive les neurosciences sont en train d’opérer une petite révolution!
Production de synapses en série!
Si la doctrine neuronale décrite par y Cajal parait aujourd’hui un peu restrictive, elle a néanmoins permis de propulser la connaissance du cerveau à un niveau sans précédent et de fonder les neurosciences modernes. On a longtemps pensé que la quantité de neurones était prédictive de la capacité cognitive. Or, plus que le neurone lui-même, ce sont les contacts qu’il établit avec son entourage qui sous-tendent et modulent l’apprentissage, la mémoire, les comportements. Avec environ cent milliards de neurones, chacun engagé dans plus de mille synapses, on ne compterait pas moins de quatre millions de milliards de connections chez une seule personne. La synapse est un lieu d’échange où le neurone émetteur, sous l’impulsion d’un potentiel d’action, relâche des neurotransmetteurs. Ces derniers, traversant rapidement l’espace jusqu’à la cellule réceptrice, stimulent les récepteurs du neurone qui agira comme partenaire de travail dans la réalisation d’une tâche.
Plusieurs milliers de synapses peuvent être actives en même temps, mais le point le plus remarquable est qu’elles se font et défont tout au long de la vie, en fonction des stimulations et des remodelages imposés par l’utilisation que l’on en fait. D’ailleurs, l’établissement de synapses est l’activité principale des neurones au cours du développement du cerveau : environ six semaines avant la naissance, il se forme quarante mille synapses chaque seconde ! Cette synaptogénèse exubérante se poursuit jusqu’à l’âge de 6 ans et, si le rythme baisse considérablement chez l’adulte, on observe toujours la formation de nouvelles synapses chez les octogénaires qui utilisent leur cerveau activement. Il se produit un tournant majeur à l’adolescence : après avoir formé de synapses en excès, le cerveau doit élaguer. La moitié des synapses seront éliminées, les moins actives au profit de celles qui sont plus utilisées. La sélection des connections conservées à l’âge adulte est donc largement influencée par l’utilisation que l’on a fait de notre cerveau au cours des vingt premières années de vie… Des années au cours desquelles les nouvelles technologies pourraient laisser une empreinte significative sur les fonctions cérébrales.
Mieux comprendre le cerveau grâce aux techniques de pointe
On a longtemps présumé que le volume du cerveau ou que le nombre de neurones étaient prédictifs de la capacité cognitive. Il est vrai que l’on observe au cours du développement de l’enfant un épaississement de la matière grise, puisque le nombre de neurones augmente jusqu’à l’âge de 6 ans. Atteignant alors un plateau, la quantité de neurones reste inchangée mais une profonde réorganisation s’opère au niveau de la matière blanche, où les axones des neurones aux fonctions similaires s’allongent et se regroupent en fibres fonctionnelles. Arrivé à pleine maturité – 22 ans pour la femme et 25 ans pour l’homme – le cerveau possède tous ses neurones et ses connections. Il ne peut alors que décliner, un processus qui s’opère très lentement et qui touche tout le monde. Cependant, aucune étude n’a permis de démontrer un lien entre la masse du cerveau et l’intelligence ou la capacité cognitive; des patients atteints de démence avancée peuvent posséder plus de neurones que d’autres n’ayant aucune atteinte cognitive. En réalité, bien plus que la quantité de neurones, c’est surtout le leur capacité à travailler ensemble qui supporte les aptitudes cognitives. Ainsi, en dehors des états pathologiques sévères, les mesures se référant à l’épaisseur corticale sont insuffisantes pour obtenir une vision précise des changements cognitifs liés au mode de vie, comme l’utilisation des technologies numériques. Comme c’est justement leur effet sur le développement et la santé à long terme du cerveau que questionne Dr Fortin, il faut nous faut aborder les stratégies permettant aux chercheurs de mieux comprendre les interactions neuronales.
L’imagerie réinventée
L’une des techniques les plus efficaces pour déchiffrer les interactions neuronales est l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) fonctionnelle. Elle permet d’observer les changements de débit sanguin dans le cerveau lors de l’accomplissement d’une tâche. L’afflux sanguin nécessaire pour alimenter en oxygène les neurones actifs produit une dilatation des micro-vaisseaux, détectable à l’IRM. Ce n’est cependant pas suffisant pour obtenir un portrait complet du fonctionnement des réseaux cognitifs, puisque cette technique ne permet pas de déterminer les fibres auxquelles ces neurones appartiennent. Une autre technique, l’IRM de diffusion, permet quant à elle d’identifier les projections des neurones, aussi appelées axones, faisant partie d’une même fibre.
Au départ, cette technique sert à visualiser très précisément le chemin des fibres neuronales, dans le but de retirer des masses cérébrales sans endommager les parties saines. Le principe est étonnamment simple puisque l’on tire parti de la répulsion naturelle entre l’eau et les fibres neuronales graisseuses, dans des contraintes d’espace. En bref, si les molécules d’eau naturellement présentes entre les cellules n’ont aucune contrainte spatiale, elles opèrent un mouvement aléatoire dans toutes les directions, traçant une sphère parfaite. En revanche, les neurones – et plus particulièrement leurs axones – restreignent le mouvement des molécules d’eau : une trajectoire plus linéaire indique alors la présence et l’orientation d’une fibre composée de plusieurs axones. On utilise ensuite un code de couleur pour catégoriser les fibres reliant le cortex au tronc cérébral ou à la moelle épinière (fibres de projection, en bleu), les fibres qui relient différentes régions à l’intérieur d’un même hémisphère (fibres d’association, en vert) et les fibres qui relient les deux hémisphères (fibres inter-commissurales, en rouge). La combinaison des informations obtenues par IRM fonctionnelle et de diffusion, renommée connectivité, permet d’obtenir des images spectaculaires représentant en trois dimensions les réseaux de fibres activées pour opérer une commande. Bien que ces techniques de pointe propulsent la compréhension des mécanismes cérébraux à un niveau inégalé, Dr Fortin nous invite à réaliser combien notre connaissance reste grossière : par exemple, la meilleure représentation du corps calleux obtenue à ce jour compte environ 300 fibres, alors que cette structure en contient près de 300 millions en réalité.
Ce que l’on sait des grands réseaux cognitifs
Grâce à la tractographie, les chercheurs ont pu dégager des constantes sur les fibres et connections impliquées dans différents types de tâches. Le modèle actuel comprend sept réseaux cognitifs répartis en deux groupes. Le premier est composé de trois réseaux actifs en permanence: le réseau de mode de défaut, le réseau central exécutif et le réseau de saillance. Le second regroupe quatre réseaux fonctionnant à la demande, soit les réseaux visuo-spatial, sensitivo-moteur, limbique et le réseau d’attention dorsale. C’est avant tout le premier groupe qui est sensible aux écrans et à l’utilisation des média numériques, c’est donc à ceux-ci que nous nous intéressons dans cette capsule. Le réseau de mode de défaut est actif lorsque l’on est « dans sa tête », en mode vagabondage intellectuel intérieur. Le réseau central exécutif est au contraire celui qui gère la réception et le traitement d’informations dont l’origine est extérieure à l’individu : regarder un film ou être attentif au propos lors d’une conférence – encore un petit clin d’œil de Dr Fortin! Comme il n’est pas possible d’activer ces deux réseaux en même temps, le réseau de saillance agit comme aiguilleur vers l’un ou l’autre selon la situation.
Pour mieux les étudier, on modélise l’activité des réseaux cognitifs à l’aide de nœuds reliés par des arêtes, comme les graphes décrivant les dessertes d’une compagnie aérienne : chaque arête représente une connexion entre deux points de contact et chaque nœud est un point où convergent plusieurs liaisons. Plus le nœud est gros, plus il reçoit de projections d’origines diverses et plus il est important. Si l’on en connait maintenant beaucoup sur le cerveau, notre vision des grands réseaux cognitifs en est encore à ses balbutiements : avec cinquante mille neurones, cent trente millions de synapses et autant de dendrites par millimètre cube de cerveau, aucun ordinateur au monde ne peut modéliser toutes les interactions qui forment notre capacité cognitive. Cependant, les outils actuels nous permettent d’entrevoir comment l’activité humaine, et notamment la consommation de média socio-numériques, remodèlent nœuds et arêtes caractérisant nos grands réseaux. Ce sera le sujet de la deuxième partie de cette capsule scientifique, à venir le mois prochain !
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