Les personnalités difficiles, quel défi! (2/2)

Claudine Auger, journaliste
8 avril 2022

Certains patients, difficiles, orageux, imprévisibles ou arrogants, vous donne peut-être la gratouille. Pourtant, avec quelques bons outils, cette relation avec ce patient aux remarques hostiles peut être beaucoup plus harmonieuse que vous ne le pensez. Consultant, conseiller en orientation, chargé de cours à HEC et excellent communicateur, Mathieu Guénette livre avec grande bienveillance ses meilleurs trucs pour faciliter les échanges avec ces individus aux traits de personnalité difficiles. Dans ce dernier article d’une série de deux, il présente trois personnalités difficiles : les profils narcissique, limite et passif-agressif.

Le fier

Inspiré de la personnalité narcissique, le « fier » est le terme alternatif utilisé par Mathieu Guénette pour nommer un individu qui en présente les traits. Comment le reconnaître ? « D’abord, il s’attend à un traitement de faveur sans raison particulière. Par exemple, il voudra devancer son rendez-vous ou prolonger la rencontre, parce qu’il se juge plus important que les autres patients », explique le conférencier. Aussi, il aura tendance à manipuler les gens en fonction de ses besoins, alternant entre le ton mielleux et l’intimidation. Il suscitera de l’hostilité par son arrogance. « Attention ! Cette effronterie risque de venir vous chercher dans vos retranchements, vous faisant dévier de votre professionnalisme. Il importe, malgré tout, de demeurer empathique », insiste Mathieu Guénette, ajoutant qu’il n’y a rien de personnel à cette condescendance. « Même si cela semble paradoxal, la meilleure approche est de demeurer ferme, tout en restant neutre. »

Le fier, poursuit le conférencier, tentera de vous soutirer des propos ou des promesses pour ensuite les utiliser : « Vous m’aviez dit que… Vous m’aviez promis que… » Avec ce type de personnalité, le principe d’exception n’existe pas. « Si fous donner un traitement de faveur parce qu’il insiste, il le verra comme un privilège acquis. Tout lui est dû. Je vous suggère d’emblée de lui dire, d’un ton assuré sans être incisif : “Pour moi, ce n’est pas possible, c’est hors de mes règles à moi”, répétant ce message avec neutralité pour qu’il comprenne qu’il n’y a pas de marge de manœuvre. » Surtout, ne pas être agressif, avec le fier, qui alors se sentira défié et vous entraînera dans une déplaisante escalade.

Le conférencier suggère fortement la « position basse ». « Pour ceux qui connaissent le l’emblématique inspecteur Colombo, détective à l’allure inoffensive, c’est une inspiration infaillible ! Il avait généralement affaire à des personnages aux traits narcissiques qui se croyaient supérieurs », évoque Mathieu Guénette. La position basse ne montre ni colère, ni hostilité, ne dénigre jamais l’autre. Ainsi, le professionnel de santé pourra dire à ce fier patient : « Je ne suis que médecin, j’aimerais vous aider, mais je ne sais pas si je peux ! Vous savez, le meilleur médecin reste vous-même. C’est vous qui vous connaissez le mieux. Qu’est-ce qui vous ferait vous sentir mieux ? Quelles sont vos solutions », l’amenant à prendre lui-même position. La position basse a un effet puissant, et pas uniquement avec les personnalités aux traits narcissiques.

L’instable

Ici encore, un terme alternatif permet d’éviter des bévues : l’instable fait référence à la personnalité limite ou borderline. On reconnaît l’instable par son identité changeante et ses comportements extrêmes. « C’est un individu qui réagit avec éclat sous le coup de l’émotion. On pourra penser qu’elle nous manipule, pourtant, il est très sincère », décrit Mathieu Guénette. On s’étonnera de ses changements d’humeur rapides : sa bonne humeur disparaîtra instantanément pour un mot qui l’inquiète ou le contrarie. « Vous dites quelque chose et il se met à pleurer ! Alors qu’il était souriant, il se met en colère pour un rien. Il est imprévisible ! »

L’instable est tout en intensité, quelle que soit la couleur de l’émotion, positive ou négative. Dans un contexte médical, l’instable pourra se montrer affectueux à la limite du malaise, parce que vous l’aurez aidé. « Il pourra vous dire : “Vous êtes comme un frère, vous êtes extraordinaire !”, dépassant le cadre professionnel. Ce peut être très flatteur de se faire dire qu’on a changé la vie de quelqu’un », concède le conférencier. Ces individus ayant ces traits de personnalité ont la particularité de susciter aisément la sympathie par leurs questionnements, notamment. Ils se confieront également avec spontanéité. « Le danger, ici, c’est qu’on peut rapidement passer de héros… à zéro », lance Mathieu Guénette. « Le patient vous dira : “Je vous faisais confiance, vous êtes mon médecin, mais vous n’avez pas répondu à mon message !” On tombe alors à l’autre extrême, on vous prêtera des intentions que vous n’avez pas, sans raison apparente. » L’instable a du mal à prendre du recul. Changeant, sa détresse est alimentée par sa quête de lui-même. « Il se cherche, allant dans toutes les directions. Téméraire, impulsif, il est aussi à risque de vivre des situations périlleuses, flirtant avec le danger dans le but de se sentir vivant. Tout cela menant souvent à des situations gâchettes. »

Comment se conduire, alors, devant un instable ? « En tentant, au possible, d’incarner le calme, la bienveillance », conseille Mathieu Guénette. Il importe de savoir poser des questions constructives afin de l’aider à pousser plus loin ses analyses. « La difficulté de ce type de personnalité, c’est qu’elle nage dans les impressions. Aussitôt qu’elle ressent une émotion, cela devient une vérité. Alors, en l’amenant à poser quelques questions constructives, on lui permet de voir les choses autrement. Par exemple : “Qu’est-ce qui vous amène à vivre cet état-là ? Qu’est-ce que vous auriez pu faire autrement dans cette situation ?” Et durant les moments de tempête, l’aider à traverser la crise. Mais, toujours, sans être dans le jugement. »

En effet, les individus aux traits de personnalité limite se jugent énormément, ce qui les conduit parfois à s’automutiler ou à tenter de s’enlever la vie. De par leur instabilité et leur intensité, ils pourront donner l’impression de bien aller, lançant un « je vais mieux » convainquant… et le vent tournera brusquement. « Heureusement, avec le temps et les questions qu’ils se posent, les thérapies aidant, ces individus apprennent à mieux vivre avec eux-mêmes et à construire des relations moins tumultueuses. »

Le caméléon

Caméléon est une manière courtoise de désigner la personnalité passive-agressive dont les traits se déploient comme fleur au soleil sur les réseaux sociaux, également nourris par les anxiétés générées par le contexte pandémique. « Les passifs agressifs cherchent à intimider, mais en secret, sans se dévoiler, très habiles avec les sous-entendus. Ils détestent l’autorité et le médecin incarne l’autorité par sa position sociale, son éducation, ses conseils et les actes médicaux qu’il apporte. Tout ça est très irritant pour l’individu présentant des traits passifs agressifs. Vous n’avez encore rien fait que déjà, il présume que vous vous sentez supérieur », fait remarquer Mathieu Guénette.

Anxieux, craintif, lorsqu’il se sent menacé, le caméléon devient extrêmement mielleux, masquant ses angoisses en cherchant passivement la complicité. Il sabotera vos efforts, mais toujours de manière indirecte, favorisant les sous-entendus. « Si vous lui dites que vous n’appréciez pas son comportement et désirez qu’il change d’attitude, il se sentira évidemment menacé et risque de vous répondre : “Ce n’était qu’une blague !” La passivité cache l’agressivité », illustre le conférencier. Le caméléon porte une frustration profonde qui prendra divers chemins.

Aussi, le caméléon a tendance à se déresponsabiliser. « S’il se sent menacé, il peut vous accuser. En retard, il vous dira : “Vous ne m’aviez pas dit que c’était cette heure-là ! Pourquoi me donner un rendez-vous à cette heure, alors que vous savez que j’ai des enfants… qu’il y a du trafic…” Tout est de votre faute », souligne Mathieu Guénette.

Dans tous les cas, il faut rappeler le désir de l’aider, pour qu’il ne se sente pas menacé et éviter de le placer en position défensive. « Le caméléon craint d’être jugé. Donc, une bonne piste d’intervention est de l’inviter à exprimer son mécontentement. Toujours à propos du retard au rendez-vous, on peut lui dire ceci : “Ce ne doit pas être toujours facile pour vous en ce moment…” Et lorsqu’il exprime sa frustration, le renforcer positivement : “J’aime que vous exprimiez votre insatisfaction, de la sorte, on arrive à se parler”. Encore ici, la position base est très aidante », ajoute le conférencier.

Devant le caméléon, la position basse atteint sa limite lorsqu’il y a manque de respect. On lui rappellera qu’on a le sentiment de le traiter avec respect, que l’on trouve important ce respect comme base forte de la relation. « Et on pourra conclure en disant : “Pensez-vous que vous pourriez vous aussi me traiter avec respect ? Ce sera beaucoup plus facile pour moi de vous aider”, rappelant notre objectif ultime. » Évidemment, il s’agit ici d’éviter d’être soi-même sur la défensive ! Ainsi, si le caméléon critique négatif sur le service de votre clinique, mieux vaut lui répondre : « On essaie de donner le meilleur service, mais nous devons malheureusement travailler avec certaines contraintes », une explication qui diminuera le sentiment d’autorité que le médecin incarne, donnant moins de prise au caméléon pour renchérir et évitant les argumentations stériles. Dans tous les cas de figure, devant des personnalités difficiles, prendre du recul permet de ne pas se laisser atteindre personnellement et de conserver une approche empathique.

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