Capsule scientifique tirée de la conférence du Dr Richard Dumas au Congrès annuel de médecine 2022
La découverte de l’insuline a fêté ses 100 ans en 2022. Depuis maintenant un siècle, les diabétiques peuvent vivre pleinement leur vie grâce à cette hormone qui participe au contrôle de la glycémie. Le Dr Richard Dumas est médecin endocrinologue et directeur du Centre de recherche clinique de Laval. Jusqu’à récemment, il était également directeur du service d’endocrinologie de l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé du CISSS de Laval. Dans le cadre de cette conférence, il nous raconte l’histoire incroyable de la découverte de l’insuline, cette hormone qui a transformé le diabète, une maladie autrefois atroce et mortelle, en une maladie chronique.
Un siècle d’histoire
« Ce n’est peut-être pas la plus grande découverte scientifique de la médecine, mais c’est une histoire canadienne qui a touché plusieurs enfants, » résume le Dr Richard Dumas, en parlant de l’insuline. Cette hormone, normalement sécrétée par les cellules du pancréas, a fait couler beaucoup d’encre depuis le début du 20e siècle. Parmi les ouvrages sur le sujet, notons The discovery of insulin, de Micheal Bliss (1941-2017), professeur émérite à l’Université de Toronto, sur lequel s’est basé Dr Dumas pour développer cette présentation.
Nous sommes à Toronto, dans les années 1920. La planète vient de traverser la Première Guerre mondiale et la pandémie de grippe espagnole. La population retrouve peu à peu une certaine normalité après l’horreur de ces deux événements sans précédent. Nourri par l’espoir de rendre le monde meilleur, le milieu de la science est en pleine effervescence.
Au début du siècle, le diabète de type I figure parmi les maladies pour lesquelles on aimerait mettre au point un traitement efficace. Jusqu’à maintenant, les malades qui développent un diabète sont condamnés à une mort lente et atroce. Ces diabétiques, qui sont surtout des enfants, peinent à survivre plus de quelques années après l’apparition des premiers symptômes. Faute de traitement efficace, on tente quelques approches parfois discutables pour réduire la glycosurie : opium, diète hypersucrée, alimentation faible en glucides (mais très riche en gras). Les résultats demeurent toutefois mitigés et les patients continuent de mourir d’infections, de gangrène et d’acidocétose.
Une idée de génie
L’histoire de l’insuline commence en 1920. La pratique du jeune chirurgien Frédérick Banting est peu fructueuse à l’époque. Pour arrondir ses fins de mois, il enseigne la physiologie. C’est dans le cadre d’un de ces cours qu’il prépare, à l’automne de la même année, une présentation sur le pancréas. Lors de ses recherches, il tombe sur un article exposant la relation entre les îlots de Langerhans, découverts par Paul Langerhans en 1869, et le diabète dans un cas de pancréatite lithiasique. Puis, au beau milieu de la nuit…
Eurêka!
Une idée prend place dans l’esprit de Banting. En se basant sur les travaux de ses précurseurs, les Allemands Oskar Minkowski et Georg I. Zuelzer ainsi que le Roumain Nicolae Paulescu, il formule son hypothèse. « Si je cause une pancréatite artificielle chez les chiens par la ligature du Wirsung et que je récupère les sécrétions internes du pancréas pour les injecter à des chiens pancréatectomisés au préalable, j’arriverai à régulariser leur glycémie. »
Pour tester son hypothèse, Banting se rend à l’Université de Toronto et fait la rencontre de l’écossais JJR Macloed, alors directeur du laboratoire de physiologie. Ce dernier accepte de fournir au chirurgien un laboratoire, 10 chiens et un assistant de recherche du nom de Charles Best. Le laboratoire étant dans un état lamentable, les deux scientifiques se mettent au travail pour nettoyer les lieux, bravant la canicule qui sévit à Toronto durant l’été 1921. Les recherches peuvent enfin débuter.
Une hécatombe au laboratoire
Ensemble, Banting et Best procèdent à une pancréatectomie totale sur certains chiens, alors que d’autres subissent une ligature du Wirsung. Ils récoltent par la suite les sécrétions internes du pancréas des chiens ligaturés pour les injecter aux chiens pancréatectomisés. C’est à ce moment que l’hécatombe commence : un à un, les chiens meurent des suites de l’opération ou de l’injection. Découragés, Banting et Best se tournent vers Macloed à l’automne 1921. Celui-ci leur propose alors des améliorations techniques et les chercheurs décident de remplacer la ligature du Wirsung par l’utilisation de pancréas fœtaux bovins.
Puis arrive Marjorie.
Marjorie a marqué l’histoire de la science. Elle se trouve être le cobaye 33 de Banting et Best, et le premier chien ayant survécu à l’injection à la suite d’une pancréatectomie. Les deux scientifiques jubilent en constatant ces résultats. On découvrira plus tard, lorsque Marjorie sera sacrifiée, que la pancréatectomie était incomplète. Les résultats que Banting et Best croyaient révolutionnaires sont tout à coup remis en question par la communauté scientifique et leurs travaux stagnent.
Une collaboration difficile
En décembre 1921, le brillant biochimiste James Collip, aussi chef du département de biochimie de l’Université de Toronto, propose son aide à Banting et Best. En peu de temps, il apporte de nombreuses améliorations aux travaux des chercheurs. Leurs résultats prometteurs sont bientôt présentés au Congrès de l’American Physiological Society. On est près du but !
Quelques semaines plus tard, Collip trouve enfin la recette pour précipiter l’insuline. L’injection d’un extrait de l’hormone permet rapidement à Leonard Thompson de devenir le premier homme à voir sa glycémie se normaliser. La presse diffuse la nouvelle découverte et, en février 1922, six patients sont traités avec succès grâce aux extraits de Collip. Celui-ci refuse toutefois de partager la recette pour précipiter l’insuline – et donc sa réussite – avec Banting et Best, ce qui fera sombrer Banting dans l’alcool.
Quelques semaines plus tard, Collip perd sa précieuse recette ! L’insuline ne pouvant plus être produite en laboratoire, le diabète redevient une maladie mortelle. Pour remédier à la situation, Best réussit à convaincre Banting de retourner au travail. Ensemble, ils concluent éventuellement une entente avec Macloed et Collip afin de ramener l’insuline sur le marché.
Un succès instantané qui se poursuit
Rapidement, les chercheurs ne suffisent plus à la demande. Leur laboratoire est incapable de produire l’insuline en quantité suffisante pour répondre aux besoins de tous les diabétiques sur la planète. Des ententes avec les pharmaceutiques Lily et NovoNordisk sont ainsi conclues dans le but de desservir les marchés américain et européen, respectivement.
Les effets de l’insuline dans le monde médical sont immédiats et les histoires aux fins heureuses fusent de toutes parts. Pensons, par exemple, à celle de la fille du gouverneur de l’état de New York, Elisabeth Hugues, qui, grâce à l’insuline, a survécu au diabète. Celle qui pesait à peine 34 kilos avant le début du traitement se trouve transformée par l’insuline. C’est d’ailleurs Elisabeth Hugues qui rendra Banting célèbre pour ses travaux. Il recevra en 1923, avec Macloed, le prix Nobel de physiologie pour ses recherches sur l’insuline, sous les protestations de Zuelzer et de Paulescu qui revendiquent la découverte. Plus tard, Banting vendra le brevet de l’insuline à l’Université de Toronto pour la modique somme de 1 $, évoquant que l’hormone appartient au monde entier.
L’histoire de l’insuline continue de s’écrire aujourd’hui. Pour preuve, de nouvelles insulines sont commercialisées chaque année dans le but d’améliorer la qualité de vie des personnes diabétiques. Après 100 ans d’histoire, on peut désormais affirmer que l’insuline a sauvé de nombreuses vies, mais qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot.