L’humain, aux quatre coins du monde
Dans un rire léger, Maria Munoz décrit son parcours comme ayant été dispersé. Elle viendra à la médecine après maints dédales qui l’auront menée à la biologie, au droit qu’elle étudie deux ans en Espagne, à un baccalauréat en anthropologie qui aura forgé sa compréhension de la diversité humaine. « Pendant cette dernière année d’étude, j’ai assisté à un cours d’anthropologie médicale : c’était fascinant ! Alors je me suis inscrite en médecine, et j’ai passé mon entrevue enceinte de huit mois », confie-t-elle amusée, encore étonnée peut-être de cette énergie candide qui a porté sa vingtaine.
Indécise alors qu’elle termine sa résidence en médecine familiale, Maria Munoz est interpellée par un reportage présentant une clinique du quartier Côte-des-Neiges qui œuvre auprès de demandeurs d’asile. Elle comprend que c’est la voie qu’elle doit emprunter. À partir de ce moment, elle militera sans relâche pour les réfugiés et demandeurs d’asile, les migrants sans assurance médicale, les personnes vivant avec le VIH, les Inuits et les personnes issues des Premières Nations ainsi que les populations touchées par des crises humanitaires. Elle sillonnera le monde, auprès de Terre Sans Frontières, de Médecins du Monde Canada et de la Croix Rouge, du Guatemala au Rwanda, de l’Inde et de l’Amérique du Sud au Nunavik et Haïti. En parallèle, elle s’engage activement dans sa communauté locale, notamment à la clinique médicale L’Actuel et au CLSC des Faubourgs qui accueille les sans-abris.
Les couloirs sinueux de l’accès aux soins
C’est au CSSS de la Montagne, dans le quartier Côte-des-Neiges, que Dre Munoz amorce sa pratique, et qu’elle rencontre des gens sans statut. « Contrairement aux demandeurs d’asile qui peuvent recevoir des soins, c’est très compliqué pour cette population très vulnérable. En bref, ces gens n’ont pas accès aux soins. Mon équipe et moi les recevions, mais ça devenait presque impossible de leur administrer plus que des soins cliniques de base. Je me rappelle de ce petit garçon avec un bras cassé. Je n’avais pas accès à la radiographie, impossible de lui mettre un plâtre par le circuit régulier », se rappelle Maria Munoz. Elle fait alors les démarches elle-même, convainc un hôpital de le recevoir et de le traiter. « Pour un enfant dont le bras est cassé, l’hôpital a accepté… mais pour quelqu’un qui a besoin d’un suivi pour une angine instable ou une masse au sein, c’est un défi d’un autre ordre ! »
C’est à cette époque, et devant des besoins criants, que Dre Munoz initie le projet d’une Clinique pour migrants et d’une Clinique mobile en collaboration avec Médecins du Monde. En outre, elle conçoit et développe des présentations pour les hôpitaux de la région de Montréal visant à sensibiliser les équipes de soins à la réalité des femmes enceintes migrantes au statut précaire. Toujours en partenariat avec cet organisme, et à titre de membre du projet de recherche sur la santé des migrants de l’Université de Montréal, elle soutient la recherche-action qui vise à documenter les besoins de cette clientèle négligée. « Dès le départ, il y avait urgence d’agir concrètement, car aucune organisation officielle ne donnait accès à cette population », se souvient l’humaniste qui a appuyé la cause en contrepartie d’un soutien financier négligeable. « C’est un immense travail de réseautage et de sensibilisation. Alors que nos associations recommandent de réclamer deux à trois fois les frais de la RAMQ, le coût est un obstacle important. Les migrants retardent à l’extrême la consultation, ce qui aggrave souvent leur situation. Alors, nous avons développé un réseau de médecins qui acceptent de recevoir ces patients gratuitement ou pour un faible coût », explique Maria Munoz, ajoutant que les préjugés jouent largement en défaveur de la cause qu’elle défend avec ardeur. « Ce n’est pas facile de plaider cette cause, parce que les migrants sont perçus comme des profiteurs. En fait, ils vivent une situation très instable, et en sont d’autant plus vulnérables. »
Idéalisme à toute épreuve
« Il n’y a pas d’êtres humains illégaux », clame Maria Munoz, qui présente plutôt les migrants et les populations vulnérables comme des gens qui souffrent. Cette force de dévouement que porte Dre Munoz s’ancre dans l’impossibilité d’accepter la souffrance inutile, l’injustice, l’arbitraire. « Quand on voit des personnes qui font partie de notre société, mais n’ont pas accès aux soins… ça me dérange. Je crois profondément aux valeurs d’universalité des soins de santé. En tant que médecins, nous avons une place privilégiée dans la société, mais aussi une immense responsabilité sociale. » Et quand on lui demande si elle a espoir en l’humain, Maria Munoz répond spontanément : « Absolument ! »
Mot de remerciement de la Dre Munioz lors de la présentation du Prix du mérite
Chers collègues,
C’est avec grande émotion que je reçois cette reconnaissance de votre prestigieuse association. Excusez-moi de ne pas être présente pour recevoir cet honneur que vous me faites ni de pouvoir échanger avec chacun d’entre vous, mais c’est du Bangladesh, où je mets en place des cliniques mobiles dans les camps de réfugiés du Myanmar qui fuient la violence organisée, que vous arrivent les mots de gratitude que j’ai pour vous.
Ici plus que nulle part ailleurs, les déterminants sociaux de la santé agissent sous nos yeux : une population fragilisée, car sans statut depuis des décennies qui suite aux violences s’est mise en route vers l’inconnu sans les ressources les plus élémentaires. L’impact sur la santé est insondable, la détresse infinie. Mais ce qui saute aux yeux ici est aussi a l’œuvre a Montréal, au Québec, dans nos pays riches et aisés si on sait y prêter attention. Comme travailleurs de la santé, nous touchons cette détresse et même si elle n’est pas strictement médicale et que les solutions ne sont pas dans nos grands livres, elle a tout de même un grand impact sur la maladie et sur la guérison. Et nous pouvons y faire quelque chose si ce n’est que de la reconnaitre, adapter notre pratique pour en tenir compte, prendre parole, s’engager.
Jeune maman, j’ai passé beaucoup de temps dans l’école alternative de mes enfants où on pratiquait la coéducation. Quand, un jour, un peu étonnée de trouver du plaisir à faire une tâche quelconque à l’école, j’ai dit « c’est le fun de faire du bénévolat » à la professeure, longue routière de l’éducation et du mouvement syndical, celle-ci m’a répondu simplement « bien sûr, quand on fait du bénévolat, il faut toujours en retirer quelque chose ». Et j’en ai beaucoup retiré. Bien sûr la satisfaction du travail bien fait, de faire quelque chose pour autrui, de récolter un sourire sur un visage fatigué, de corriger de petites injustices qui passent sous le radar, mais aussi la complicité avec mes collègues, les rires et les peines partagées, la rencontre de personnes plus grandes que nature, autant patients que collègues, la richesse d’une pratique qui côtoie toutes les cultures et les strates de la société et l’opportunité de travailler avec des organisations efficaces, engagées et dévouées comme Médecins du Monde qui a soumis ma candidature.
J’ai eu beaucoup de chance dans la vie, je suis née en santé dans une famille où on valorisait l’éducation, j’ai été vaccinée, alimentée, aimée, soignée, éduquée. J’ai eu la chance de pouvoir explorer plusieurs sujets avant la médecine. J’ai eu une famille aimante et soutenante, des professeurs dévoués, des collègues à l’écoute. J’ai bien sûr aussi beaucoup travaillé, mais j’ai surtout beaucoup reçu et je ressens une grande reconnaissance pour tout ce que la vie m’a permis de devenir. Ce prix c’est encore une raison d’être reconnaissante. Il signifie beaucoup, car il provient de vous, mes pairs, qui jour après jour soignez vos patients et faites valoir leurs droits. Je le reçois non pas comme un aboutissement, mais comme un encouragement à poursuivre et une responsabilité à continuer de soigner et de défendre ceux et celles qui sont oubliés, ont eu moins de chance, ceux qui n’ont pas été des gagnants de cette loterie qu’est la vie.
Merci !