Développer la sécurité psychologique au travail pour contrer l’épuisement professionnel

Dre Sonny Gagnon, médecin et coach
3 mai 2024

Capsule de coach

« La sécurité psychologique au travail est l’AFFAIRE DE TOUS ».
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » Gandhi.

L’abondance d’exemples dans les médias, la littérature et sur le terrain mène au constat que ces dernières années le mal-être au travail est devenu un fléau extrêmement coûteux (humainement et financièrement) dans le réseau de la santé. Que ce soit par l’absentéisme croissant du personnel soignant, les départs prématurés ou le présentéisme (être physiquement présent, mais non productif), la souffrance au travail réduit la qualité et la quantité de l’offre de soins de santé.

La combinaison d’un certain nombre de facteurs de stress (personnel et professionnel) peut conduire à l’épuisement professionnel, mais travailler dans un mauvais climat de travail en augmente considérablement le risque. De plus, le tout laisse place à des problématiques de désorganisation du travail, d’erreurs et d’attitude néfaste envers les patients.

Au fil du temps, dans un climat non-soutenant ou dépourvu d’esprit d’équipe, il y a une perte de motivation et de sens au travail. Le professionnel devient désenchanté face à son travail qu’il croyait pourtant être le plus beau métier du monde.

Dans ce type d’environnement, la confiance est élimée et tout le monde en souffre.

En 2012, la société Google a lancé le Projet Aristote1,2, impliquant plus de 180 équipes, pour répondre à la question suivante : Quels sont les éléments qui rendent/caractérisent une équipe efficace ?  La première conclusion et la pierre angulaire du succès d’une équipe : la sécurité psychologique. Plus précisément, la possibilité de s’exprimer et de prendre des risques sans se faire rabrouer par un leader. D’autres facteurs, tels que des objectifs clairs et donner du sens au travail, ont également été identifiés pour expliquer la performance des équipes.

Qu’est-ce que la sécurité psychologique dans son milieu de travail ?

Tout d’abord, la sécurité psychologique n’est ni de la surprotection, ni des prises de décision par consensus, ni de la déresponsabilisation ou de la gentillesse excessive. Il ne s’agit pas non plus de sacrifier la performance. La performance mérite toutefois d’être redéfinie. Selon plusieurs auteurs et auteures s’intéressant à ce sujet, l’on parle maintenant de « performance saine et durable », c’est-à-dire respectueuse des humains plutôt que de « performance tout court ». Ainsi, cette conciliation de la performance avec la bienveillance est nécessaire pour veiller au bien individuel sans toutefois aller à l’encontre du bien commun de l’équipe.

Selon Amy Edmondson3, auteure de The Fearless Organization, la sécurité psychologique est la conviction que l’environnement de travail est sûr pour prendre des risques interpersonnels.  Des collègues qui peuvent être candides et authentiques sont des marques de sécurité psychologique dans une équipe. L’auteure précise notamment que les gens doivent être autorisés à exprimer des pensées à moitié finies, à poser des questions provenant du champ gauche et à réfléchir à voix haute afin de créer une véritable culture de l’innovation.

De plus, selon les recherches de Timothy R. Clark4, auteur de The 4 stages of PSYCHOLOGICAL SAFETY, l’on décrit la sécurité psychologique en 5 mots soit « une culture de vulnérabilité récompensée », ce qui revient à dire, le droit de se montrer vulnérable, et se décline selon ces 4 étapes :

  1. Sécurité d’inclusion : Puis-je être moi-même ?

Elle satisfait le besoin humain fondamental de se connecter et d’appartenir. Ce qui signifie être à l’aise d’être soi-même, se sentir accepté tel que nous sommes. Valoriser l’écoute et faire en sorte que tout le monde ait la possibilité de s’exprimer renforce la confiance et la résilience. Toutefois, être attentif à « l’illusion de l’harmonie », car plusieurs sont dans la spirale du silence et choisissent de ne rien dire.

  1. Sécurité d’apprentissage : Puis-je grandir ?

Elle satisfait le besoin humain fondamental d’apprendre et de grandir, intellectuellement et émotionnellement. Ce qui veut dire se sentir à l’aise et libre de poser des questions, de recevoir et donner de la rétroaction, d’admettre qu’on ne sait pas tout, de demander de l’aide lorsque nécessaire, de prendre des risques (raisonnables), d’expérimenter et de faire des erreurs, et ce, sans crainte de se sentir jugé.

  1. Sécurité de contribution : Puis-je créer de la valeur ?

Elle satisfait le besoin humain fondamental de s’impliquer et partager. Ce qui permet de mettre à profit ses compétences et ses forces, en tant que membre à part entière, et de faire une différence. Il favorise l’autonomie, le partage des responsabilités et rend la coopération motivante.

  1. Sécurité de remise en question : Puis-je être franc sur le changement ?

Elle satisfait le besoin humain fondamental d’améliorer les choses, lorsqu’on croit qu’elles ont besoin de changer. Cela ouvre des portes à explorer de nouvelles façons d’aborder les défis, à de nouvelles solutions et de répondre au besoin d’amélioration continue. Et si on essayait ça ?

Dans un article de l’ACPM5, publié en avril 2021, l’on donne quelques conseils en matière de bonnes pratiques de la sécurité psychologique, notamment d’appliquer la règle de platine : « Traitez les autres comme ils aimeraient être traités ». Et non pas seulement « Traitez les autres comme vous aimeriez être traité ».

Moi (comme médecin) et mon équipe… comment instaurer un bon climat?

D’abord, soyez un exemple dans votre équipe et faites-en une priorité !

Cette sécurité doit débuter par soi-même, c’est-à-dire être bienveillant avec soi-même, prendre soin de soi, s’accepter, s’inclure soi-même et cesser de se comparer. On ne peut pas faire la promotion de la sécurité psychologique dans notre équipe, si l’on est tellement exigeant avec nous-mêmes et que cela fait peur aux autres. Personne ne voudrait partager une faille avec quelqu’un qui est dur envers lui-même.

Chacun peut choisir de porter une attention soutenue au climat de travail, à soi, aux autres et à le nourrir. L’équipe peut en discuter ouvertement et plus formellement en établissant un contrat d’équipe, avec notamment un énoncé des engagements et valeurs, et en nommant des gardiens responsables de ces valeurs pour rappeler leurs importances et les intégrer au quotidien.

Aussi, comme le mentionnent les Dres S. Roman & C. Prévost6dans un article publié en juin 2018 Prévenir l’épuisement de nos équipes, ça vaut le coût, « vous pourriez mettre sur pied un groupe de travail sur la santé de votre équipe qui inclurait votre chef, et sans qu’il en porte l’entière responsabilité ».

Et le gestionnaire-leader…que peut-il faire ?

Soyez un pilier, un liant auprès de vos équipes !

Bien que les professionnels soient responsables de leur propre bonheur, il est aussi de la responsabilité du gestionnaire-leader de promouvoir, favoriser et soutenir cet état d’esprit et de ne pas tolérer les comportements qui dévalorisent. Il doit permettre à tout le monde de s’exprimer et accueillir les divergences d’idées.  Il doit admettre lui-même ses propres fragilités, qu’il ne sait pas tout et qu’il apprécie et félicite les membres de son équipe lorsqu’ils font de bons coups.

Le gestionnaire-leader, qui en a souvent lourd sur ses épaules, a besoin du soutien de son équipe. Il doit aussi accepter qu’il ne puisse plaire à tous et il doit, parfois, prendre des décisions difficiles et avoir des conversations courageuses pour le bien commun. Tout est dans la façon de le faire, c’est-à-dire avec bienveillance et respect de la dignité des individus. Le gestionnaire-leader vise à motiver ses troupes et à travailler ensemble. S’il prend le rôle du superhéros, il est à risque de démotiver son équipe et de s’épuiser lui-même.

En conclusion, se sentir dans un environnement psychologique sûr est donc le FONDEMENT pour se sentir bien à son travail. « Un bon climat c’est comme de la bonne terre qui permet aux plantes de pousser en santé ». Tous les membres de l’équipe influencent et nourrissent cette sécurité. Plusieurs études le démontrent, la sécurité psychologique est indispensable à la créativité, aux apprentissages et rend plus performants les environnements. Là où il existe des niveaux élevés de sécurité psychologique, il existe des niveaux élevés d’engagement, une amélioration de la satisfaction et de l’épanouissement au travail, une réduction de la rotation du personnel, des absences et des départs.

N.B. Depuis 2021, les employeurs ont l’obligation de protéger leurs travailleurs des risques psychosociaux au même titre que les risques physiques, ergonomiques, chimiques ou biologiques. Également, l’enjeu premier du plan stratégique 2023-2027 du MSSS7 est de mettre en place une organisation plus humaine au travail.

Vos premiers pas…

Voici une liste non exhaustive de questions à se poser pour amorcer ou renforcer un environnement de travail sain :

Comment percevez-vous le sentiment de sécurité psychologique dans votre milieu de travail ?

Qu’avez-vous réalisé jusqu’à maintenant pour instaurer un bon climat ?

Comment faites-vous pour que vous-même et les autres vous sentiez inclus ?

Comment encouragez-vous les autres pour qu’ils se sentent en sécurité d’apprendre, de contribuer et d’innover ?

Comment vous supportez-vous quand il y a une erreur? Quel apprentissage en faites-vous?

Quel résultat souhaitez-vous obtenir ?

Qu’allez-vous mettre en place à partir de maintenant ?

Comment comptez-vous le mesurer (communication, sondage) ?

Qui peut vous aider ?

Soulignez et célébrez chaque petit pas et ayez du plaisir et de la douceur dans vos apprentissages !

Références :
1. Rozovsky, J. (2015). The five keys to a successful Google team. Re: Work.
2. Duhigg, C. (2016). What Google learned from its quest to build the perfect team. The New York Times Magazine.
3. Edmondson, A. Wiley & sons. (2019). The Fearless Organization: Creating Psychological Safety in the Workplace for Learning, Innovation, and Growth.
4. Clark, Timothy R., The 4 stages of PSYCHOLOGICAL SAFETY: Defining the path to inclusion and Innovation, First Edition 2020.
5. ACPM (2021), Sécurité psychologique : Assurer un milieu sécuritaire pour parler franchement et réduire les risques. https://www.cmpa-acpm.ca/fr/education-events/good-practices/physician-team/psychological-safety?panel=checklist-accordion
6. PAMQ (2018), Prévenir l’épuisement de nos équipes, ça vaut le coût! Roman S, Prévost C. https://www.pamq.org/wp-content/uploads/2021/08/5-Prevenir-epuisement-de-nos-equipes_ca-vaut-le-cout_S-Roman_C-Prevost.pdf
7. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Plan stratégique 2023-2027.
https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/plan-strategique/PL_23-717-01W_MSSS.pdf

Biographie :

La Docteure Sonny Gagnon est médecin et coach en développement professionnel pour médecins et professionnels de la santé et certifiée en codéveloppement professionnel pour groupe/équipe aspirant à devenir de « super équipes apprenantes ». Elle est également, coach dans le programme accrédité Coaching individuel pour médecins cliniciens de Médecins francophones du Canada.

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